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8 :17

Cette nouvelle a été sélectionnée par la classe de seconde B du Lycée agricole du Fresne à Saint-Gemmes-sur-Loire (49), pour concourir pour une lecture publique en janvier prochain dans le cadre du Festival Premiers Plans à Angers.

La gifle vole, frappe. Sèche et claquante.

Ma tante se retourne et s’appuie contre l’évier. Elle m’a baffée ! Elle soupire. Une fois. Deux. Puis une troisième. Elle me refait face. Je plonge mon regard noir d’ado rebelle dans ses yeux gris et froids.

« Non ! Je te dis que tu n’iras pas à cet... ce... cette soirée de marginaux !!! »

« Messieurs, mesdames, bonjour. Je vous informe que le train de huit heures dix-sept en provenance de Marseille et à destination de Nantes, se prépare à entrer en gare Montparnasse voie C. La SNCF vous souhaite une bonne journée ainsi qu’un bon voyage.»

Comme prévu, un TGV d’une quinzaine de wagons pleins s’arrêta. Commença alors l’échange des voyageurs, les habituelles querelles qui vont avec, les adieux des uns, les retrouvailles des autres. Ici, une femme cherche son mari ; là, un homme court après son chien ; ailleurs, deux matrones se disputent des bagages, un couple s’embrasse, une jeune fille salue hasardement une femme :

« - Bonjour. Je cherche quelqu’un. Une femme blonde, la quarantaine. Vous ne vous appelleriez pas Béatrice Merkel par hasard ?

- Il me semble que tu es tombée sur la bonne personne ! Amène donc tes affaires par là. C’est tout ce tu possèdes ? Tu veux que je t’aide à transporter ? »

Une vingtaine de minutes plus tard, dans le treizième arrondissement, vers la place d’Italie, un taxi s’arrêta. Une femme blonde en descendit.

Béatrice Merkel, une grande femme blonde aux yeux gris qui vous glacent illico presto si vous osez y plonger le regard, célibataire, solitaire si on fait exception de son chien, un de ces petits animaux dont la peau hyper plissée a sur vous un impressionnant effet anti stress, si vous osez y aventurer vos doigts.

Elle était suivie de près par une adolescente. Une jeune fille brune aux cheveux emmêlés, la peau dorée, un air sauvage dans le regard, la lèvre inférieure de sa bouche déchirée d'un piercing. Un autre scintillait à l’arcade.

De retour dans ma chambre, je projette un plan d’évasion. Hors de question d’obéir à l’Autorité !!! En plus, j’ai promis à Léo que j’irai...

En parlant d’Autorité, je l’entends qui m’appelle à table. Durant tout le dîner, elle me présente ses excuses, me répète qu’elle a agi dans mon intérêt, que je comprendrai plus tard. Je ne réponds pas. Je suis ailleurs. Avec Léo.

Vingt-et-une heures. Je saisis mes Doc martens à la main et descends furtivement l’escalier. Légère comme le vent, je passe devant la porte ouverte du salon où ma tante, écoute le discours d’une autre Autorité, Monsieur le Président de la République.

Hors de l’appartement, saine et sauve, je choisis de descendre par l’ascenseur.

Les deux femmes entrèrent dans un immeuble quelconque et montèrent dans un ascenseur. Arrivées au troisième étage, elles pénétrèrent dans un petit appartement lumineux et coloré installé sur deux niveaux.

« - Voici la cuisine qui sert aussi de salle à manger ; à gauche, c’est le salon et là, c’est mon bureau. Je te préviens, je n’apprécie pas du tout que l’on me dérange lorsque je travaille. Ainsi, tu seras priée de ne pas rentrer dans cette pièce. Sauf, bien entendu, pour accéder à l’ordinateur. Avec ma permission. Compris ?

- Bien sûr, madame Merkel.

- Appelle-moi donc Béatrice. Là-haut, tu trouveras ma chambre à gauche, la salle de bain, les toilettes et aussi ta chambre. Je t’avoue que je n’aime pas non plus qu’on pénètre dans la mienne sans y être invité. Pour le reste, fais comme chez toi.

- Ok, je monte installer mon bazar.»

Il est environ quatre heures du mat’. Je sors titubante de la bagnole de Léo, mon Léo. Celui-là même qui vient de m’ouvrir galamment la portière. Celui qui me soutient et m’embrasse tendrement, délicieusement à l’instant même.

« - T’as vraiment pas besoin que j’te raccompagne ? me susurre-t-il à l’oreille.

- Non, je t’assure que... j’en suis capable... Je t’aime. »

Sur ces mots, je m’évade de ses bras, et, comme dans un rêve, une bulle, je pénètre à l’intérieur de l’immeuble.

Cinq minutes après, ou plutôt dix, je parviens enfin devant la porte de notre appart’.

Je tourne la poignée de la porte.

Je quitte le paradis.

L’Autorité est de retour. Ma tante, furax, se tient debout devant moi. Elle m’attendait. Moi, complètement défoncée, je ne dis rien. Elle non plus. Elle est comme une bombe à retardement. Sous la pression de la colère, sa peau prend une couleur rose violacée et son visage est atteint de tics : son nez tressaute. Elle est comme un petit cochon. À cette pensée, je laisse échapper un rire. Et là, c’est le retour de la bombe qui explose enfin. Déchiqueté le cochon !

Ma tante me sort alors ce discours ; heureusement pour moi, grâce à mon état d’ébriété avancé, je ne m’en souviendrai pas en totalité :

«- Mais c’est pas possible !!! Je t’avais interdit d’y aller ! Et toi, tu me fais une fugue !!! Je t’avais dis que tu avais de mauvaises fréquentations, elles te poussent à désobéir ! Ou bien est tu née avec ça dans le sang ?! Tu sais que ton grand père nous éduquait à la baguette, ta mère et moi ?! Et on le respectait ! Mais bien sûr, le tien de père, a pas été foutu de t’élever correctement ! D’ailleurs, je suis sûre qu’il ne t’a même pas élevée du tout, il t’a laissée grandir toute seule avec les bestioles de la savane. Il n’était capable de rien, ton père ! Comme ses congénères, d’ailleurs ! Et comme le dit le président, ils squattent notre espace, bouffent notre nourriture, respirent notre air et nous piquent nos boulots ! En plus ils ne sont même pas capable de parler français correctement !!!

- Ah ouais ! Et il parlait quelle langue, mon père ?!

- Il avait un putain d’accent incompréhensible !

- Parce que toi et maman vous n’en avez pas d’accent ! Et mon grand père, puisque tu m’as parlé de lui, il ne parlait même pas français du tout !!! Le père de mon père le parlait, lui ! Alors c’est qui les étrangers dans tout ça ?!

- Peut-être, mais nous sommes des étrangers éduqués, travailleurs, capables de réfléchir… »

Là, je ne tiens plus. À mon tour d’exploser. Sauf que je ne crie pas, je vomis tellement elle me dégoûte.

« À table !!! »

La jeune fille enfonça une dernière punaise dans le plâtre et jeta un bref regard à sa nouvelle chambre. Elle avait passé presque trois heures à essayer de rendre ces grands murs blancs plus accueillants, moins étrangers. Maintenant, ils étaient couverts de toutes sortes de posters montrant des visages, d’affiches de cinéma, de concert, de pubs, de festivals, de nombreuses cartes postales en provenance de pays africains…

« Tu m’as entendue ?! Je suis pressée, moi, je vais travailler après ! Viens manger ! »

Elle descendit, entra dans la cuisine, s’installa en face de l’assiette vide et commença à manger en silence.

« T’as fini d’installer tes affaires ?

- Presque… dis, tu fais quoi comme boulot ?

- Je conseille les clients dans une banque.

- Laquelle ?

- Le Crédit Lyonnais.

- Ah… »

Elle soupire.

« - C’était aussi la banque de mes parents.

- Allons, n’y pense plus. Tu m’as moi, maintenant. Tu dois prendre ton arrivée ici comme un nouveau départ. Et puis, tu sais, c’est la vie…Tout le monde doit mourir un jour. Sauf qu’il y en a pour qui cela arrive plus vite. On n’y peut rien. »

Trois semaines ont passé depuis notre engueulade. Comme un sentiment de malaise s’est installé entre ma tante et moi. Si bien que j’essaie de passer tout mon temps libre avec mes potes, en ville. Elle, de son côté, passe le plus de temps possible à son boulot. Elle part tôt le matin, ne revient plus à la maison le midi et rentre autour de vingt-et-une heures trente, le soir. Et le week-end, lorsqu’on est obligées de se croiser, c’est à peine si on se dit « bonjour ». Je ne peux m’empêcher de lui jeter des regards noirs. Et d’écouter de la musique le plus fort possible dans ma chambre à longueur de journée. En fait, je n’arrive pas à oublier cette phrase qu’elle m’a dite ; elle tourne en boucle dans ma tête : « Il n’était capable de rien, ton père ! Il n’était capable de rien ton père ! Il n’était… »

C’est pathétique.

Cependant, ce dimanche midi, alors que nous mangeons dans un silence de plomb depuis cinq minutes sans lever le nez de mos assiettes respectives, elle m’adresse la parole, tout doucement. Comme une petite souris qui s’exprimerait dans un amphithéâtre rempli de chats.

« J’ai vu la voisine ce matin. Tu sais, madame Bali, celle qui a eu soixante-quinze ans la semaine dernière. Elle m’a demandé s’il serait possible que tu baisses ta musique. D’ailleurs, j’aimerais bien savoir un peu plus ce que tu écoutes.

- Ah ouais !!! Ça aussi tu veux contrôler !! Tu crois que ma musique aussi elle va me faire mal tourner ?! Tu sais que Marley il était black ?!

- Mais non, tu n’y es pas du tout !! ! C’est juste que j’aime bien ce que tu écoutes ! Je reconnais des trucs, genre la Mano, que j’écoutais quand j’étais jeune. Mais il y a pleins d’artistes qui me sont inconnus. Je voudrais simplement que tu me les fasses découvrir…

- … Il y a un gros festival le week-end prochain, à une vingtaine de kilomètres d’ici. J’ai des potes qui y vont. Ça te dirait qu’on y aille avec eux ?

« Allez ! Debout !! Il est sept heures passées ! Oublierais-tu que c’est ton premier jour dans ton nouveau lycée ? »

La jeune femme poussa un grognement, s’écrasa l’oreiller contre la figure… Puis, dans un sursaut, se redressa subitement. Elle repoussa sa couette et se leva, les cheveux en bataille, les yeux encore petits à cause du sommeil.

Cinq minutes plus tard, roulement de tambour dans les escaliers. Courant d’air sur la table de la cuisine. Disparition d’une tartine et d’un verre de jus d’orange. Claquement de la porte d’entrée.
Démarrage d’un moteur quelques étages plus bas.

« Enfin. Allez, je t’emmène pour aujourd’hui mais pour les jours qui suivront, il faudra que tu te débrouilles avec le métro. Tu verras au début, on est un peu impressionnée par la foule mais on s’y fait vite. »

Béatrice déposa la jeune fille devant un grand bâtiment en tuffeau, daté du XVIIIe siècle.

Elle poussa la grille et se dirigea d’un pas vif parmi les nombreux élèves indifférents à son arrivée. Elle prit un couloir désert et, suivant les indications murales, se retrouva bientôt en face d’une porte nommée « accueil ». Elle frappa à celle-ci.

Pas de réponse.

« Tu cherches quelqu’un ? »

Elle se retourna en un bond.

Un jeune homme se trouvait dans son dos. Il l’observait, sans doute depuis un bon moment, avec des yeux un brin moqueurs, d’un bleu limpide. Il avait les traits fins, les cheveux blonds, en bataille parmi lesquels était accrochée une athébas rouge. Un écarteur enroulé transperçait son oreille gauche et sa fine bouche s’étirait en un sourire rieur. Il portait un keffieh rouge et noir autour du cou, une tunique et un sarouel.

« - Alors t’es sourde ? T’es nouvelle ici ? Parce que je t’avais jamais remarquée avant. Et pourtant tu l’es, remarquable… Moi c’est Léo.

- Ah… euh… enchantée. Nan, en fait c’est juste que je ne t’avais pas entendu arriver. Et tu m’as… euh… surprise. Ouais, je suis arrivée ce matin et je sais pas dans quelle classe je suis.

- Je peux t’emmener si tu veux. J’ai des potes qui m’ont mis au courant de l’arrivée d’une nouvelle dans leur classe. Ça doit être toi.

- Ok, j’te suis. »

« - Tu es sûre que c’est ici ? Il n’y a que des jeunes. Je vais faire tâche avec mes quarante balais !

- Mais non, t’inquiète ! »

La voiture s’était arrêtée en plein champs boueux, où stationnaient également de nombreux camping-cars et caravanes. Par terre, entre les tentes, jonchaient quelques bouteilles de bières, de nombreux sacs plastiques…

Au fond, parmi la foule, je voyais un grand chapiteau duquel s’échappaient quelques bribes de musique entraînante.

Je m’élance vers cette source de gaieté…

« Attends !!! »

Je me retourne et observe ma tante. Elle me rattrape en marchant d’un pas vif, tout en observant le peuple qui l’entoure, avec ses grands yeux gris écarquillés. C’est vrai qu’elle fait un peu tâche. Mais pas à cause de son âge ; ce sont ses fringues qui clochent. Elle porte l’ensemble classique « slim/converses » de la mode citadine. Très class. Mais les autres sont plus comme moi : treillis, tee-shirts colorés, piercings, tatouages, dreadlocks…

Et là, parmi les jeunes, les vieux, les alcoolos, les drogués, les joyeux… J’aperçois mon rayon de soleil.

Léo était là, dans la cour, sous les vieux platanes. Il se dirigeait vers la nouvelle.

« - Alors, ta matinée ?

- Ça a été. Les gens sont cools ici.

- Ouais, c’est vrai. Mais les profs… Et, sinon, tu viens d’où ?

- Euh… c'est-à-dire que… En fait j’ai passé une bonne partie de mon enfance à voyager entre l’Afrique et la Bretagne.

- L’Afrique !!! Ça déchire !

- Ouais, c’était sympa… Le Sénégal.

- Et maintenant, tu ne voyages plus ?

- Mes parents sont morts.

- Merde ! J’suis désolé !

- Oh, t’inquiète pas pour moi. Je crève la dalle, on va bouffer ? »

Il l’entraîna alors parmi le dédale des couloirs.

« Hey ! Salut, ça roule ?

- Ça va Angie, ça va. Salut Mat’ !

- B’jour. »

Léo se trouvait en retrait. Ses yeux brillants dans l’obscurité naissante me mataient les hanches.

« Pervers !! »

Et sur l’air d’Alizée, il chantonne :

« C’est pas ma faute… Viens, il faut que je te parle. »

Et il m’entraîne.

« - Ça te dirait daller voir As de Trèfle ? Ils passent dans environ une demi-heure.

- Hein-hein. Tu voulais me parler de quoi ?

- De l’autre soir. J’ai besoin de savoir ce qu’il y a… Et comme on ne s’est pas revus à cause de mon stage…

Je le regarde. Ses beaux yeux pleins d’espoir, son teint bronzé lumineux, ses cheveux en bataille, son torse musclé… waahh !!! Il est trop beau ! Comment ne pas lui sauter dessus !

Ce que je m’empresse de faire. J’ai peur qu’il me repousse. Non, il me prend dans ses bras. Soupir de soulagement. Je sens ses mains se balader le long de ma colonne vertébrale. Il se presse un peu plus contre moi.

J’entends ma tante qui m’appelle. Merde, on était si bien tous les deux. Je m’écarte.

Et là, vision d’horreur !

J’aperçois ma tante au bras de Mat’ (un pote qui, je dois le préciser, est guinéen), un joint dans la main droite, une bouteille de vodka dans l’autre. Complètement pétée la Béa ! Pas possible !! Il y a une demi-heure, j’ai laissé une femme trop coincée, légèrement bourge sur les bords… et là, choc culturel ! Je ne la reconnais plus.

« Je regrette sincèrement tout ce que j’ai pu faire ou dire. J’espère que tu voudras bien tout effacer. »

Il était maintenant dix-sept heures trente.

Les derniers élèves s’empressaient de quitter les lieux qui redevenaient calmes peu à peu.

Assis sur un banc dans la cour, deux jeunes gens bavardaient allègrement.

« - …

- Et du coup tu vis où maintenant ?

- Place de l’Italie.

- Toute seule ?

- Nan, je me suis installée chez ma tante, Béatrice.

- Ah. Et, ça va, elle est sympa ?

- Bin en fait, je la connais pas trop. Mais elle me semble froide et pas très accueillante. Il faudra que je m’y fasse de toute façon.

- … »

Pendant qu’ils discutaient, deux autres adolescents s’approchèrent.

« - Hey ! Léo ! Alors, ta journée ?! T’as fait connaissance avec la jolie nouvelle ?

- Bin ouais. »

Puis s’adressant à la nouvelle en question :

« Je te présente Mat’ et Angie. Ce sont mes meilleurs amis. Faut pas s’étonner s’ils sont un peu tarés des fois. Enfin… souvent. Angie, Mat’, voici… euh… comment tu t’appelles déjà ? »

MR
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