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Sa dernière parole

Bonjour Béatrice,

En me levant ce matin, j’ai pensé à toi, comme chaque matin depuis que tu es partie et je me suis décidé à écrire cette lettre pour m’excuser des années passées. Je sais très bien que tu ne me pardonneras pas. J’ai conscience que, quand tu étais enfant, je t’ai fait souffrir, c’est certainement pour cela que tu t’es enfuie très tôt. Depuis ton départ, j’ai réfléchi et je me suis lancé dans une cure. Dès que je voyais une bouteille, je me souvenais de ton visage rempli de larmes lorsque je buvais et devenais violent. Avec les blessures que je t’ai causées, je suppose que tu ne répondras pas à ma lettre. Mais j’ai quand même un espoir de te revoir, de te parler et même de t’écouter.

Tu me manques.Ton père.

Quand je lus cette lettre, un sentiment de désespoir m’envahit. J’eus l’impression de mourir puisque toute ma vie défilait devant moi…

Un soir en revenant de l’école, je vis mon père une bouteille à la main. Je dus mettre la table sur le champ, par malheur son verre était mal disposé. Alors il se mit à me frapper. Le lendemain, à l’école, la maîtresse me posa des questions à propos de mes bleus. Je lui dis simplement que j’étais tombée dans les escaliers, sans penser que ça ne tenait pas debout. Depuis cette soirée mon père me battait régulièrement. Mon enfance fut pour moi la période de ma vie la plus difficile et malheureuse, hormis mon divorce. A seize ans je me suis sauvée de chez moi et je suis partie en France le pays le plus proche et dans la possibilité de m’accueillir. J’enchainais les petits boulots pour pouvoir payer le misérable logement que je m’étais trouvé. A mes dix-huit ans, j’eus le plaisir d’avoir un travail stable qui me permit d’avoir une condition de vie plutôt agréable. L’année suivante, je rencontrai mon futur mari que j’épousai à l’âge de di-neuf ans. Tout était parfait jusqu’au jour où il me quitta pour une autre plus jeune que moi au bout de quinze ans de mariage. A tente-cinq ans, j’ai reçu la première lettre de mon père, je ne l’ouvris même pas.

Pendant plusieurs années j’en reçus régulièrement. A quarante-deux ans, j’ai eu des remords et j’ouvris sa dernière lettre. Je me rendis compte que j’avais un besoin de le voir, de lui parler… Je décidai alors d’aller à l’adresse indiquée au verso de l’enveloppe. Je m’y rendis. Arrivée devant mon ancienne maison, je sonne à la porte, personne ne vient m’ouvrir… J’ai donc décidé d’entrer et là je vis sur le fauteuil un homme mourant, rongé par la vieillesse, c’était mon père !

Je me penche sur lui, je le regarde. A ce moment il ouvre les yeux et murmure :

« Béatrice…

- Oui père !

- Je suis heureux de te revoir…

- Ne parle pas, tu as déjà du mal à respirer !

- Je dois te dire quelque chose d’important… je t’… »

Ce fut la dernière parole que mon père m’adressa.

LL, JM, ML
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