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Quand Malreau devient Merkel…

Il était une fois (les histoires commencent souvent comme ça) une jeune femme. Oh ! Pas une jeune femme que l’on voit dans les magazines (pas assez jolie), pas non plus une jeune femme que l’on voit à la télé, pas une SDF. Non, une jeune femme comme on en voit tous les jours, une jeune femme qui a une bonne situation, une jeune femme qui ne demande rien à personne et qui n’est pas célèbre.

Notre jeune femme s’appelle Béatrice Malreau, elle a été adoptée par une famille parisienne aisée alors qu’elle était toute petite. Elle le sait bien entendu, on ne cache plus cela aux enfants surtout s’ils ont quarante-cinq ans et qu’ils sont employés de banque. Sa maman lui a même dit qu’elle était d’origine allemande.

Notre héroïne, qui pour l’instant n’a pas fait grand-chose, n’a pas de chance en amour. Quarante-cinq ans, toujours célib’, c’est vrai c’est un peu bête, mais elle s’en fout et on n’est pas là pour faire un mélodrame.

Elle vit une vie qui n’est pas très palpitante, surtout axée sur son travail de conseillère dans une banque. Un jour un jeune homme qui n’a rien d’un mec super sex’ se présente à la banque. Il demande un entretien avec Mademoiselle Malreau au sujet d’un stage qu’il doit effectuer. Béatrice le reçoit, elle hésite longuement, derrière ses hublots et son air vraiment trop coincé, il n’a pas l’air méchant. Elle se décide enfin, Brad Pitt (comme elle l’a surnommé en référence à sa «beauté exceptionnelle ») décroche son stage pour la semaine suivante.

Quelques jours passent, nous sommes maintenant mercredi, le stage de Brad Pitt se déroule correctement, il n’est pas très à l’aise avec les clients mais reste aimable et distingué, jamais il ne s’adresse directement à Béatrice qui ne remarque décidément rien. Il évite même de se trouver dans son passage.

Un lundi matin, en allant au boulot, elle passe comme tous les jours devant le petit kiosque à journaux du coin de la rue, salue la vendeuse qui la regarde d’un air inhabituel.

Mais bon, ça ne la choque pas plus que ça Béatrice, sa tête est déjà à la banque (c’est ça les gens qui aiment ce qu’ils font, ils ne pensent pas à leur super week-end passé trop vite, ni à ce qu’ils vont faire en fin de semaine, non non, ils pensent à ce qu’ils vont faire au travail, à leurs responsabilités, à leurs dossiers, à leur paperasse…).

Si elle avait su ! Si elle avait su la pauvre Béatrice ! Elle aurait regardé, elle aurait lu l’énorme page de « Public » posée non loin de la vendeuse. Mais attention ! Mais qu’est- ce qu’elle fait ? Ça ne lui ressemble pas ! Elle qui est d’habitude si pressée d’arriver à l’agence s’arrête, recule, revient sur ses pas ! OH ! Non Béatrice, ne fais pas ça, cette page va te gâcher ta journée, ta semaine, ton mois ! Mais si ! Elle arrive, se penche, elle lit le titre écrit en lettres rouges : « BÉATRICE MALREAU LA SŒUR CACHÉE D’ANGELA MERKEL ». La pauvre femme se sent mal d’un seul coup « Qu’est-ce que c’est que cette merde ?» marmonne-t-elle entre ses dents. Le lecteur attentif remarquera que c’est la première fois que Béatrice prononce un gros mot. Il faut marquer le coup, l’heure est grave ! Elle achète le magazine et se remet en route vers la banque. Elle marche vite, elle court presque, on peut voir des petites larmes (fines et discrètes mais des larmes quand même) couler le long de ses joues.

Arrivée à la banque, elle se précipite dans les toilettes, essaie de se refaire une beauté en se tartinant d’une épaisse couche de fond de teint. Elle ressort des cabinets, reçoit son premier client (une affaire de prêt comme d’habitude). Elle essaie d’être souriante, elle essaie de bien cerner la situation pour le conseiller de son mieux, mais le cœur n’y est pas. Le paparazzi de malheur va lui payer le vol de sa vie privée. Mais est-ce vrai au moins toute cette histoire avec la chancelière allemande ? Sa maman lui a bien appris l’existence d’une sœur en Germanie, d’ici à ce que cette sœur soit le chef de l’État, il y a tout même une marge importante. Elle n’a plus qu’une idée en tête, appeler sa mère pendant sa pause de midi (celle-ci, qui arrive trop vite les jours ordinaires, se fait aujourd’hui attendre !). La pendule sonne enfin douze coups, Béatrice fait tout pour mettre gentiment le dernier client pot-de-colle dehors et se jette sur le téléphone. Au fil de la conversation, ses collègues la voient devenir de plus en plus blanche en passant par le cramoisi, le vert kaki et le jaune pas très vif. Quand elle raccroche enfin, elle a beaucoup de mal à se tenir sur ses jambes, elle murmure tout bas : « Je suis la sœur de la chancelière allemande… » Alala pauvre Béa !! C’est dans ces moments-là qu’une femme a besoin d’un homme pour la réconforter ! Mesdames ne dites pas « NON », personne ne vous croit ! Tiens, Brad Pitt est encore plus distant que d’habitude, il a certainement lu la presse, il n’est pas très courageux, il ne veut sûrement pas s’approcher d’une sœur de Chancelière…

Béatrice pose son après-midi, les acquéreurs à la recherche de prêts lui sortent par les yeux et elle est bien décidée à trouver son journaliste. Elle se rend dès treize heures trente devant la porte de la rédaction de «Public», se « casse le nez » sur une porte qui ne s’ouvrira qu’à quatorze heures et cherche le rédacteur en chef et lui demande qui est cet « Harry. C » dont elle a vu le nom en bas de l’article. Il lui dit que sa véritable identité est Valentin Delètre, qu’elle peut le trouver au lycée Charlemagne et que normalement il ne dévoile pas le nom de ses journalistes. C‘est juste parce qu‘il la trouve jolie et qu‘il la drague (va-t-elle tenter sa chance avec lui) ? Non, elle a autre chose en tête et elle ne veut pas d’un beau parleur qui ne voit que son intérêt. Elle vient de se souvenir du nom de Brad Pitt : Valentin Delètre, c’est lui l’ordure qui lui a enlevé son intimité ! Mais que peut-elle faire contre cette andouille ? Elle ne lui en veut pas, au contraire, elle a même l’impression qu’il l’a libérée de quelque chose qui la turlupinait depuis son enfance même si elle ne voulait pas l’avouer ! Elle sait maintenant qu’elle a une sœur et donc une famille de sang ! Alors notre Béatrice prend, là, tout de suite sur le trottoir côté de la rédaction de « Public », une décision comme elle n’en a jamais prise, une décision sur un coup de tête. Elle a pris une décision sans réfléchir, une décision qui fait du bien : elle laisse sa routine, son métro, son boulot, son dodo pendant un mois (elle s’arrangera avec son directeur, ça, c’est pas un problème). Elle part découvrir son pays d’origine et… sa sœur !

Une semaine plus tard :

Béatrice est devant la demeure de la chancelière allemande. Elle a tout d’un coup une boule au ventre (attention pas une boule de nioniotte, ah non ! une maxi boule qui fait bien mal !) et une formidable envie de faire pipi. C’est à ce moment-là que notre héroïne se demande ce qui lui a pris de quitter boulot, métro et dodo pour se retrouver là ! Elle regarde le bâtiment une dernière fois et se dit comme dans les films à l’eau de rose :« Vas-y Béa, tu peux plus reculer maintenant ! ». Stop ! Stop ! Ça y est, c’est parti, elle y va…

RV
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