_______________

Disparition

Notre vie est plutôt banale ; moi, cinquante ans divorcée sans enfant, habitant un petit immeuble cossu ; lui, jeune et beau, tout pour plaire. Jamais je n’aurais pensé qu’un homme si talentueux puisse s’intéresser à moi un jour.

Je m’appelle Béatrice Merkel; j’habite à l’angle du monument de la Cité Fleurie dans le 13e arrondissement, ce bâtiment, aussi modeste soit-il m’apporte tranquillité et calme, ce dont j’ai besoin à la veille de la cinquantaine. Pourtant, cette vie simple et banale me rend heureuse.

J’attends en ce soir de janvier mon compagnon avec ses retards multiples et ma meilleure amie n’a guère pensé à me téléphoner pour mon anniversaire. J’ai pour seul compagnon en cet instant morose mon chien Fivelle, cela fait maintenant cinq ans que j’ai recueilli ce petit cocker à la SPA.


Après avoir passé la nuit seule, j’avale un café et je file vers mon lieu de travail : je suis conseillère en clientèle dans une banque près du centre commercial Auguste Blanqui. Je sors de l’immeuble et je me rends compte qu’un camion de livraison est stationné derrière mon véhicule et le bloque pour sortir : je possède pourtant une petite voiture de ville ! Je décide donc de prendre le métro ligne G en direction du centre commercial. Aujourd’hui, je me suis vêtue d’un tailleur noir plutôt strict. À mon âge, j’aime être coquette. Je pousse la porte, on m’accueille à bras ouverts et je salue mes collègues.

Assise à mon bureau, j’ai à peine le temps de ranger mes affaires que déjà le téléphone retentit. Je décroche, j’entends une voix grave d’homme ; mon cœur s’arrête de battre à la phrase : « Bonjour, gendarmerie nationale » Après avoir vérifié mon identité, mon interlocuteur me demande si mon compagnon, Grégoire Morin, possède bien un Scénic gris. J’imagine tout de suite ce qu’il va me dire : c’est, bien entendu, un accident.

Mais, on m’annonce que mon fiancé vient de décéder…

A peine ai-je déballé mes affaires qu’il faut déjà que je les range, que je quitte mon poste pour la morgue, afin de reconnaître le corps de Grégoire qui apparemment serait brulé au troisième degré sur une grande partie du corps.

J’ai le cœur qui bat à cent à l’heure : une de mes collègues propose de me conduire ; j’accepte. Je suis dans un état tellement déplorable qu’il ne serait pas prudent de prendre le volant.


Après une demi-heure de route, nous nous garons ; je dois y aller, je ne peux plus reculer. J’entre dans ce grand bâtiment sombre, je rencontre un brigadier qui m’explique les circonstances de l’accident : le véhicule de Grégoire a percuté de plein fouet un car qui allait chercher des personnes âgées se rendant à Lourdes. Son véhicule est resté coincé dans la carrosserie du bus et a pris feu : je ne peux pas identifier le corps…


Mon ami me raccompagne alors à mon domicile ; je suis abasourdie ; je me sens seule ; je ne sais pas à qui parler ; en arrivant à mon appartement, je me laisse tomber sur le sol, ma boîte email se met à retentir.

Je me lève pensant recevoir un message de condoléances de mon entourage et je me rends compte que ce mail provient de la boîte de mon compagnon. Il a été posté il y a à peine un quart d’heure : qui peut me faire une blague d’aussi mauvais goût ?

En tremblant je clique sur la souris et ce message m’envoie vers un autre lien internet. Là, c’est le désarroi total : j’aperçois une vidéo de Grégoire vivant alors qu’il est censé être mort ! Cette vidéo se déroule en temps réel à l’instant même où je la visionne ! Qu’est-ce que cela veut dire ? De nombreuses interrogations se bousculent dans ma tête.

Je décide donc de comprendre, je commence d’abord par rechercher avec qui il a passé ces dernières heures. Après avoir passé plusieurs appels à ses amis, je retrouve l’emploi du temps de ses dernières vingt-quatre heures et découvre que Grégoire menait une double vie et qu’il jouait notre argent dans des jeux stupides au casino. Ces personnes m’apprennent aussi qu’il devait avoir de nombreuses dettes de jeux. Cela expliquerait-il cette vidéo ? Veut-il faire croire à sa mort pour échapper à ses dettes et me prévenir que tout cela n’est qu’une mise en scène ?

Le sentiment que j’ai à cet instant est à la fois de la haine et du soulagement de le savoir en vie. Je ne comprends pas pourquoi il ne m’a pas fait confiance mais aussi ce qui l’a poussé à me cacher sa passion pour le jeu?

Mais à présent, où se trouve Grégoire ? Mon prochain objectif est de réussir à le contacter ; je me dis que mon compagnon a du mal à se séparer de son ordinateur portable et je décide donc d’utiliser ce moyen afin de le contacter mais, je dois veiller à être prudente afin que personne ne se mette sur sa trace. Après une longue réflexion, je me dis que je peux lui faire parvenir un message codé connu de seulement nous deux.

***

Je reste dans l’attente. Cela fait maintenant deux jours que mon compagnon a reçu mon message et ne m’a pas répondu. Mais, au moment où je n’y crois plus et que je n’espère plus rien, j’entends ma boîte email. Je me précipite sur mon ordinateur la main tremblante : il me répond qu’il accepte notre RDV aujourd’hui à dix-sept heures. Il est quinze heures je m’impatiente, je décide de mettre ma petite robe vichy qu’il aimait tant me voir porter. Et je me relève les cheveux à l’aide d’un serre-tête.

Je l’attends sur un banc ; mon cœur bat la chamade, il a un peu de retard comme d’habitude ; je ne m’inquiète pas, Grégoire a tendance à ne jamais être ponctuel. Il arrive; je suis submergée de bonheur ; je me rends compte à quel point je l’aime. Pourtant, il a l’air bizarre ; je lui demande des explications mais Grégoire se met à bafouiller et me prévient qu’il n’a pas beaucoup de temps. Il m’explique alors que je ne dois en aucun cas me mêler de cette histoire et qu’il est bien mieux pour moi d’en connaître le minimum de détails Il m’informe qu’il doit énormément d’argent à quelqu’un se prénommant le "Corbeau". Je vois dans son regard qu’il va ajouter quelque chose mais il s’écroule sur moi ; ma main se plaque dans son dos : du sang ! Grégoire est cette fois bien mort ! Au secours ! Au secours !

AB - AG
2008 - Ecrire avec, lire pour © Droits réservés