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Passé proche

Seize heures, Paris, 13e. Béatrice Merkel, quarante-cinquante ans, conseillère en clientèle, caractère rigoureux et organisé. Langue maternelle : allemand, femme de droite, célibataire, divorcée d'un homme, sans enfant, sûrement parce qu’il était lui-même l'enfant.

Ce jour, porte un tailleur noir, une chemisette blanche, veut paraître le plus strict possible, montrer qu'elle a un master.

Bien sûr, se déplace en métro, par souci d'être à la page de la modernité, préservation de l'environnement est le mot d'ordre du moment.

Sort de son bureau, contrat plaqué contre sa poitrine comme si le monde reposait sur ce dossier. Le client part, gestes et sourires faux-cul, normal il faut bien satisfaire son ego.

Pour se féliciter, Béatrice ira faire du shopping. Quel plaisir de dépenser futilement dans des magasins luxueux, bien éloignés de ceux de sa jeunesse, cet argent gagné : une énième paire d'escarpins !

Dans les vitres réfléchissantes, cette silhouette ! Ce visage ! Quelle horreur ! Décidemment, elle ne fait pas son âge ce qui ne veut pas dire qu'elle fasse plus vieille ; la nature fait souvent son tri sélectif sur qui aura le droit ou non d'avoir le temps marqué sur son visage.

Béatrice, d'âge mûr, ne se supporte plus mais grâce à ses caprices, un coup de bistouri et tout s'efface. Le tout est de trouver le pigeon qui lui offrira cette régénérescence, mais pour l'heure pas le temps.

Ce soir, nouvel an chinois dans le 13e, un des arrondissements les plus peuplés de Paris : 19 % de la population propriétaire de déambulateurs, 102.000 emplois, 20.000 personnes dans la communauté asiatique et ce soir plus de 100.000 spectateurs venant de tout Paris pour le plus grand bonheur de Béatrice.

Fin de la journée, Béatrice rentre chez elle.

Mange un soi-disant repas équilibré, avec pour principaux arguments, moins de calories, peu de lipides. Après ce somptueux repas, se douche et deux heures trente plus tard, est enfin prête pour cette soirée ! Son déguisement, Lotus Geisha, composé d'une robe noire aux très beaux imprimés et d'un nœud avec une "traîne dorsale" rouge. Visage peint de blanc, lèvres recouvertes de rouge juste sur le milieu, cils étirés par le mascara, trait noir au-dessus des yeux, cheveux ramenés en arrière et tenus par des baguettes rouges. Déguisement très élégant, glamour et sexy idéal pour le nouvel an.

Sort, direction la ligne n°7, traverse l'arrêt Choisy, descend à Ivry.

Les cent mille spectateurs sont au rendez-vous. Malgré la foule, aperçoit un homme, l’homme idéal, cheveux noirs, yeux verts, peau blanche, taille moyenne, musclé, sans avoir abusé des testostérones en boîte ! Il porte un kimono noir, une ceinture noire, très « class », très beau.

Sous son déguisement, ose aller vers l’inconnu; si ça se passe mal, comment retrouver une geisha sans son masque ?

Une fois les formules d’usage terminées, la soirée commence.

Danse, spectacle, musique encombrent les rues. Béatrice retrouve son ami Ouli comme prévu devant le pub Mulligan. Ensemble, accompagnés de l’inconnu, ils virevoltent de bar en bar à coup de whisky glace.

Après avoir écumé tous les bars du quartier, la relation entre Béatrice et l’inconnu se fait de plus en plus fusionnelle. Ouli prend congé alors qu’elle et son inconnu se dirigent vers son appartement proche du dernier bar fréquenté.

Dix heures, Ouli sonne à la porte de Béa, ouvre, entre, se dirige vers la chambre ; au lieu de trouver un lit qui aurait connu une nuit d’ébats amoureux, il trouve un lit bien trop sage !

Coup de téléphone sur coup de téléphone, pas de réponse ni de nouvelles Béa.

Le dernier, le 17.

Après plusieurs minutes de conversation houleuse, enfin pris au sérieux, l’alerte enlèvement est lançée.

Au bas du téléviseur, une bande annonce défile : « Alerte enlèvement, Béatrice Merkel, 45 ans, brune, habillée d’une robe noire avec une "traîne dorsale" rouge a été vue pour la dernière fois revenant du nouvel an chinois et rentrant chez elle dans le 13e arrondissement accompagnée d’un homme d’une trentaine d’années, taille moyenne, brun, yeux verts, vêtu d’un kimono noir, si vous êtes témoins, appelez le commissariat de votre ville. »

Après deux semaines d’investigations, Ouli est mis face au passé peu glorieux de son amie : prostitution, drogue et mafia ou plutôt dettes envers un baron de la mafia allemande, un proxénète…


***


Ouli marche dans la rue, comme ces dernières semaines il observe les passants sans trop s’attendre à la voir.

Là, près de chez elle, encore un clochard sur le perron. Ouli lui dépose une pièce, il se penche, stupeur ! Béatrice ! Béatrice !

Elle est là, sur ces marches, sale, odorante, les vêtements déchirés, un boîtier de DVD serré contre sa poitrine. Sur cette jaquette, une photo, Béatrice nue, ensanglantée, entourée d’hommes… la violant.

JM
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