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La vie d’après

Ma vie avant ? Elle ne se résumait pas à grand chose. Je me levais à cinq heures trente - six heures, je me lavais et à sept heures j’arrivais à la banque. Toute la matinée, la banque était vide, vers midi et demi, toute la clientèle arrivait en masse (je n’ai jamais compris les gens, ils viennent toujours à l’heure de la pause) vers treize heure trente, j’allais déjeuner à la buvette du coin, l’après-midi vers dix-huit heures un nouvel afflux de client revenait. Le soir, on allait dîner entre copines, on discutait des hommes que l’on avait conseillés sur leur argent pour le divorce et bien entendu, on leur donnait notre carte pour qu’ils nous rappellent. Après le dîner, je regardais les feuilletons « fleur-bleue » à la télévision et ils finissaient toujours par me faire pleurer ! Après la tisane, j’allais me coucher seule dans mon lit froid. Tous les jours les mêmes rengaines.

Toute ma vie j’ai été seule, sauf des nuits occasionnelles où à la sortie d’un bar je ramenais un paumé dans mon lit mais il n’y restait jamais, sauf une fois le malheureux m'a demandé ma main, mais pendant ces années (les plus heureuses de ma vie) il a sombré dans l’alcoolisme alors il est parti, préférant sa bouteille à sa femme…

Mon appartement n’avait rien d’inhabituel, tout ce qu’il y a de plus banal, mais il était propre et rangé, sauf l’étagère de ma chambre, mon petit laboratoire où je laisse moisir mes radis (depuis le lycée je suis captivée par les radis). Vous saviez qu’un radis rassis ressemble à un raisin sec et bien moi je le sais depuis trente ans.

Oui, j’avais quarante-huit ans, la cinquantaine m’effrayait, je n’avais rien fait de ma vie, pas d’enfant, pas de mari juste ma mère que j’allais voir tous les dimanches à la maison de retraite.

Je n’aimais pas y aller, elle était intubée de partout, je me disais vivement qu’elle meure, pour elle c’était mieux qu’elle soit là-haut que sur terre. C’est un cancer du rein qui l’a terrassée mais elle a tenu pour voir ses petits-enfants qu’elle disait, elle a dû être déçue, pour moi c’est presque la ménopause et même pas un copain l’horizon, la pauvre.

Bref, une vie ennuyante et sans intérêt.

Un jour, je ne suis pas allée au boulot, j’ai préféré rester avec mes radis, cette journée m’a beaucoup fait réfléchir, toutes mes craintes de finir dans ce trou à continuer ce boulot en restant seule sont venues me hanter, il fallait changer quelque chose et profiter de la vie, mais comment ?

J’ai repensé à mon adolescence, l’époque où je rêvais de voyager, mais mon anglais était pire que médiocre, donc je n’avais pas bougé.

Pendant plusieurs semaines, je repensais à mon rêve de gosse et plus le temps avança et plus l’idée faisait son chemin.

Pourquoi ne pas partir loin et tout plaquer, j’avais des économies et rien, depuis la mort de ma mère, rien ne me retenait ?! Pendant plusieurs mois à la banque j’avais regardé toutes les destinations possibles, loin des grandes villes, loin des gens, loin de la civilisation et des habitudes.

Parmi toutes ces destinations, la Guyane avait attiré mon regard (loin de Paris, des grandes villes, de la végétation et en plus, ils parlent français pour la plupart, seul inconvénient la pluie). Une autre destination aussi, le Tibet (les montagnes, le retour à la terre mais il y fait froid et ils ne parlent pas ma langue).

Mon choix était fait, j’irais en Guyane mais quelles affaires prendre ?

Rien, juste des vêtements et un parapluie, c’était décidé, je partais dans trois semaines. Pendant le boulot, je mis mon appartement à vendre, j’écrivis ma lettre de démission et je réservai mon billet aller simple.

Voilà les raisons de mon départ. Maintenant, j’habite un carbet en bois au milieu de la forêt amazonienne, je n’ai pas d’eau ni d’électricité, je me lave toujours à l’eau froide, je cultive mes légumes et mon voisins chassent pour moi. J’ai un boulot à mi-temps, je bosse six mois dans l’année comme animatrice nature, je me sens bien, tranquille, je suis heureuse et toujours avec mes radis !


LB
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