_______________

Une vie de rêve

On aurait pu se croire dans un hôpital. Un cabinet de psychiatre, non mais quelle idée ! J'étais à présent morte de peur et j'avais l'impression d'être aussi dérangée que les patients assis dans cette même salle d'attente. Mais après tout qu'avais-je à perdre ? J'étais laide, obèse, j'avais quarante-cinq piges et en plus j'étais plus que barbante ! A vrai dire, je pourrais même me qualifier de dépressive et désespérée. J'avais tout tenté, régime, expédition en Afrique, club de rencontres... Rien à faire, j'étais célibataire, aigrie et blasée, ma vie était pire qu'un long fleuve tranquille.

« Madame Merkel ? » Une voix me tira soudainement de mes pensées plus que négatives. C'était le docteur Mendenblatz qui venait de finir sa consultation et venait me chercher. Je balisais, j'étais encore plus folle que je ne l'aurais imaginé pour me lancer dans cette expérience. Voilà maintenant qu'un homme plus jeune que moi me parlait comme il aurait parlé à un gosse de trois ans.

« Madame Merkel, madame Béatrice Merkel », répéta le jeune psychiatre qui scrutait à présent la salle à ma recherche. Je me levai et le suivis, j'avais l'impression de me diriger droit vers l'échafaud. J'allais barber au moins une personne de plus dans ma vie. Mendenblatz ferma la porte derrière moi et m'indiqua le sofa. Je m'installai et attendis un mot, un geste qui ne vint pas. Il m'observait d'une façon très étrange, il analysait chacun de mes gestes et de mes expressions. Ce mec était pire qu'un scanner, il m'étudiait de la tête aux pieds. Son attitude commençait à m'agacer, qu'avait-il à m'observer ainsi ? Je commençais à devenir légèrement paranoïaque, j'essayais de deviner ses pensées. Plus j'essayais, plus je pensais qu'il devait désespérer de mon physique. J'imaginais les pires scénarios, peut-être finirait-il par me conseiller de rentrer chez moi en me tendant une corde.

Soudain il prit la parole et d'une voix faussement intéressée, il me questionna : « Qu'est-ce qui ne va pas ? »

Je rêvais ! Cet homme avait un bac plus six en psychologie et il ne trouvait rien de mieux à me dire que : « Qu'est-ce qui ne va pas ? » Je pris une grande inspiration et entrepris de raconter ma vie le plus brièvement possible.

Je m'appelle Béatrice Merkel, commençais-je... Je fus très rapidement interrompue par le psychiatre qui me répondit en détachant chaque syllabe : « Bonjour Béatrice. »

Je ne pus m'empêcher de sourire devant le ridicule de la scène, j'avais à présent l'impression d'être dans un de ces films où il y a des réunions d'alcooliques anonymes. Je repris avec un peu plus d'intérêt : « J'ai quarante-cinq ans, je suis banquière, je vis dans un appartement luxueux, je suis célibataire... » Il m'interrompit de nouveau : « Jusque-là, rien de bien dramatique, remontons donc plus loin dans votre enfance, d'où venez-vous ? Parlez-moi de tout ça. » Je fouillai dans mes souvenirs et entamai mon récit : « Je pourrais qualifier mon enfance d'originellement désastreuse. J'ai été trouvée dans une poubelle par une clocharde lorsque j'avais un an. J'ai été placée à l'orphelinat où j'ai vécu mes douze premières années, sans cesser d'espérer que l'on finirait par venir me chercher. Puis j'ai été placée dans une famille que je haïssais, on m'accordait très peu d'importance. Je faisais figure de potiche et étais en quelque sorte la bonne de la maison. » Il me regarda d'un air amusé et me posa la question fatidique : « Avez-vous été mariée ? »

Décidément je devais vraiment avoir l'esprit tordu pour venir raconter ma vie à un homme qui n'avait pas plus de conversation que les gens que j'ai rencontrés dans ces fameuses croisières où ils te promettent de te trouver l'AMOUR.

« Non, j'ai bien essayé une fois mais ça n'a pas marché. Mon mari m'a trompée avec un transsexuel ». Le psychiatre commençait à avoir l'air intéressé par ma vie, il devait sûrement prendre ça pour un jeu du genre chercher l'intrus. Et il rattaqua : « Ce n'est pas possible, vous avez sûrement dû réussir quelque chose. Votre métier vous plaît ? Vous avez une bonne carrière au moins ? »

Je me surpris à chercher au moins une de mes expériences qui n'aurait pas tourné au fiasco, mais rien à faire, j'avais tout raté. Je n'avais pas de famille, j'étais laide au point de dégoûter définitivement un homme. Je n'avais pas d'amis, mon métier m'ennuyait, et j'avais une vie sexuelle comparable à un désert.

M. Mendenblatz m'annonça la fin de la séance et fixa la date du prochain rendez-vous. Maintenant je peux ajouter que je suis une thérapie.

Le 30 Juin 2008, le Docteur Mendenblatz s'étouffa avec son café en lisant un article de journal.... Cet article racontait le suicide d'une femme à la vie très originale.

SB
2008 - Ecrire avec, lire pour © Droits réservés