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La rencontre (1)

Bonjour à tous. Je me présente, je m’appelle Béatrice Merkel, j’ai quarante-sept ans et j’habite dans le 13e arrondissement de Paris. Je vais vous raconter une incroyable aventure, qui m’est arrivé il n’y a pas si longtemps que ça. Cela a commencé lorsque je sortais de mon immeuble.

Refermant la porte principale, je commençai à marcher en direction du métro. Je ne faisais pas vraiment attention à ce qui se passait, un chien traversa la route, des jeunes fumaient assis sur le bord du trottoir, un homme courait avec de la musique dans les oreilles… Bref la routine. Je pris la route qui tournait vers le parc pour éviter la foule ou encore tous les touristes. C’est alors que, assis devant la porte d’un immeuble, un enfant pleurait. Au début, je ne faisais pas vraiment attention. A Paris, un enfant qui pleure c’est assez banal. Je ne commençai à le remarquer que lorsqu’un homme lui cria par la fenêtre de s’en aller car il n’avait rien à faire ici, que ce n’était pas en pleurant ses parents qu’ils reviendraient. C’est alors que je commençai à m’approcher de lui. Il leva la tête quand il m’entendit arriver, il me regarda droit dans les yeux, - malgré sa crasse - je ne pus m’empêcher de m’asseoir à côté de lui. Je lui ai demandé :

« Que fais-tu ici, tout seul, assis sur un trottoir ? »

Il ne me répondit pas. Je compris alors que les paroles ne serviraient à rien. Je passai un bras autour de ses épaules espérant le rassurer mais cela ne changea rien. Il eut plus peur que tout et il s’écria :

« Va-t’en, laisse-moi tranquille !

- Ecoute, je ne te veux pas de mal, je veux t’aider. Comment t’appelles-tu ?

- Alban.

- Alban, dis-moi, pourquoi es-tu tout seul, pleurant sur un trottoir ? »

Je me demandais vraiment ce qu’il avait et plus il pleurait, plus cela me rendait triste. Je trouvais cela étrange mais ce petit m’en rappelait un que j’avais gardé autrefois. Cela fait bien longtemps et pourtant j’avais l’impression que c’était hier. Lorsqu’il commença à parler, je sortis de mes pensées.

« Je… je suis seul, car mes parents sont partis sans moi... » dit-il en reniflant. Il fondit en larmes. Je lui ai alors proposé de marcher un petit peu. Il accepta sans broncher. Il m’a alors raconté, en ayant beaucoup de mal, que ses parents étaient partis. Il avait peur de ce qui allait se passer car ses parents ne l’avaient pas abandonné mais, comme ils étaient des immigrés et qu’ils avaient été découverts, le gouvernement les avait renvoyés chez eux en Algérie. Si lui était toujours là, c’est qu’il avait eu beaucoup de chance car ses parents l’avaient caché pour ne pas qu’il soit envoyé à la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales. Mais le pauvre, cela faisait quatre jours qu’il n’avait pas mangé. Je décidai alors de l’emmener manger un morceau chez moi.

Mais voilà je me suis prise d’affection pour ce jeune et il resta donc pour dormir. Le lendemain, il fallait que j’aille travailler. Je lui laissai l’appartement et lui demandai d’y rester pour éviter les problèmes. Il accepta sans rien dire mais tout en souriant.

Sans que je le sache, il partit voir son frère qui était avec ses amis. Celui-ci le voyant arriver lui demanda :

« Qu’est-ce tu fous ici ?

- Je sais que je n’ai pas le droit de venir, mais…

- Alors pourquoi tu viens ? Tu sais très bien que j’t’ai interdit de v’nir ici !

- J’ai trouvé quelqu’un pour s’occuper de moi.

- C’est qui ?

- Béatrice.

- Où elle vit ?

- Dans le 13e.

- Super ! Bon, allez, dégage main’nant avant que mes potes reviennent. »

Le soir venu, je rentrai et bien sûr, il me mentit sur ce qu’il avait fait. Je lui préparai un dîner et l’envoyai au lit.

Un mois plus tard, nous étions devenus très proches. Nous nous racontions tout. Nous n’avions aucun secret, enfin c’est ce que je croyais.

Un matin, comme d’habitude je partis travailler sauf que ce jour-là, j’avais pris mon après-midi pour aller se promener et aller au cinéma. Mais voilà, lorsque je rentrai, je ne vis personne, pas d’Alban ! Inquiète, je partis à sa recherche. Au bout d’une heure, je le trouvai enfin, mais à ma grande surprise il était en train de rigoler avec cette bande de… de racailles !

Je m’écriai alors :

« Alban !!!

Tous se retournèrent. Ils devaient se demander « Qui c’est celle-là ? »

- Que fais-tu là ?

- Euh… Et bien…

- J’attends.

- J’te présente mon frère. »

Je restai bouche bée lorsqu’il prononça ces paroles. Puis revenant à mes esprits :

- Non mais je rêve, ton FRERE !!! Toi qui m’avais dit que tu n’avais plus personne, plus personne pour t’aider, que tu étais seul. Je croyais qu’on se faisait confiance, qu’on se disait tout, sans mensonges…

- Oh, hey !!! Dit son frère en sortant un couteau. Calme-toi ! Sinon c’est moi qui vais t’calmer.

- Arrête Karim ! »

Je sentais mon cœur qui battait à cent à l’heure ! Je n’arrivais plus à parler. Alban était terrifié.

Son frère déclara alors :

« Te mêle pas de ça Alban !

- Karim, s’il te plaît, arrête ! Si tu la tues, c’est comme si tu tuais maman !!!

- Maman n’est plus là !

- Pour moi Béatrice est une seconde mère.

Il me relâcha enfin. Et en partant, je criai à Alban :

- C’est lui ou moi ! Je te laisse trois jours pour réfléchir.

Arrivée chez moi, je m’enfermai à double tour. Je pris un verre de whisky pour essayer de me décontracter. J’avais peur. J’étais terrifiée.

Pendant ce temps, Karim et Alban continuèrent de réfléchir au problème. Karim intervint :

« On va faire comme ça, sérieux, j’veux pas qu’tu sois malheureux frérot ! Donc j’te conseille d’y retourner car ici c’est pas un endroit pour toi ! J’veux qu’ton bonheur.

- Mais, toi alors, qu’est…

- T’inquiète, j’me débrouille. »

J’étais inquiète. Alban n’était toujours pas revenu. J’avais peur qu’il fasse un mauvais choix. Cela faisait trois heures que je patientais. Quand soudain, on frappa à la porte. Je me précipitai à la porte pour ouvrir. Mais à ma grande surprise, c’était le facteur qui m’apportait un colis que je n’avais pas été chercher. Peu de temps après, j’aperçus un visage familier. J’étais rassurée. Alban me regarda avec ses petits yeux. Je l’invitai alors à rentrer. Le facteur partit. Je lui demandai alors :

- Je suis heureuse pour toi. Tu as fait le bon choix. Sache que je ne t’en veux pas, tu n’es pas responsable de ce qui s’est passé.

- …

- Ne me dis rien, je comprends.

Je partis alors lui préparer un bon petit plat. Il s’assit dans le fauteuil, pensif. Il déclara alors :

- J’en ai marre !!! Dit-il en fondant en larmes.

Je le pris dans mes bras, en l’embrassant.

- Tu sais très bien que je ne te laisserai jamais tomber. Je suis beaucoup trop impliquée dans votre histoire maintenant.

A ce moment, je réalisai que ce petit comptait beaucoup pour moi. Des larmes coulèrent de mes yeux, partageant sa peine.

Après avoir mangé, nous conclûmes cette journée assez émouvante.

Une semaine plus tard, il était toujours aussi triste. Je comprenais sa peine, son frère lui manquait ainsi que ses parents. Je ne pouvais le laisser ainsi et l’envie me prit. Je savais au fond de moi que c’était une idée absurde, mais je ne pouvais m’en empêcher. Il fallait que j’aille voir son frère.

Le lendemain, je pris la décision d’aller le rencontrer. J’arrivai en direction de la place où nous étions la dernière fois. Je l’aperçus au coin de la rue, il était en train de fumer. Les battements de mon cœur augmentaient à chaque pas. Pendant un instant, j’hésitai, de peur qu’il ne m’arrive quelque chose. Je pris mon courage à deux mains et allai le voir. Il se retourna et m’aperçut.

« Qu’est-ce tu fais là toi ?

- Je… Je voudrais te parler de ton frère.

- D’abord d’où qu’tu m’parles ! Quand mon frère il a un problème, il vient me voir !

- Mais c’est que…

- Vas-y, dégage main’nant !

- Non mais écoute-moi au moins ! Ton frère il a vraiment un problème. Ton absence lui fait mal. Tu sais très bien que tes parents ne sont plus là, en plus tu ne viens même pas le voir. Tous ces événements le détruisent ! Si je viens te voir, c’est qu’il y a une raison. Comme tu dois t’en douter, je me suis prise d’affection pour ton frère et je voudrais vraiment vous aider. Aussi bien pour lui que pour toi !

- D’abord, rien m’prouve que j’peux t’faire confiance. J’te connais pas.


- Tu peux toujours essayer. Cependant je doute que ton milieu soit favorable pour toi et Alban !

- T’peux rien faire pour moi ! Quand on commence dans ce milieu, on s’en sort plus. T’vois c’que j’veux dire ?

- Mais quel est vraiment ton problème ?

- En fait, tout a commencé lorsque je sortais du collège en cinquième. Des mecs sont v’nu m’voir. Ils savaient ma situation et que j’ne refuserais pas leurs propositions. Au début, ça paraissait simple mais en fait, une fois qu’t’es d’dans, t’peux pu t’en sortir. Main’nant, j’sais que j’peux pu m’en sortir et personne ne peut rien faire pour moi. C’est comme ça, puis c’est tout !

- Si jamais tu changeais d’avis, n’hésite pas à venir me voir. Je peux te trouver du travail et t’aider à t’en sortir.

- T’comprends pas ou quoi ? Si mes potes l’apprennent, j’suis mort !!!

- Réfléchis bien, je ne peux rien te dire d’autre à part que ton frère a besoin de toi. »

Arrivée chez moi, je trouvai Alban endormi sur le canapé. Je le pris et l’emmenai dans son lit et ensuite allai me coucher avec une lueur d’espoir que Karim soit convaincu.

Il se passa deux semaines sans que je n’aie de nouvelles. Le moral d’Alban s’améliorait de jour en jour mais ce n’était pas tout à fait ça. Je commençais à désespérer que Karim ne donne pas de nouvelles.

Huit heure du soir passées, on frappa à la porte, j’y allai sans soupçons. En ouvrant la porte, j’en suis restée bouche bée. Karim était enfin venu !

« Salut.

- Je suis contente de te voir.

- J’ai bien réfléchi et j’pense qu’il faut que j’change pour Alban. Il n’a plus que moi.

- Que comptes-tu faire ?

- Est-ce qu’on peut s’asseoir ?

- Oui, vas-y entre.

- Voilà, j’vais inventer des excuses bidon à mes potes. J’espère qu’ça march’ra. T’façon, dans la vie qui ne tente rien, n’a rien. INCH’ALLAH !! »

Alban sortit de la salle de bain et aperçut son frère. Il courut dans ses bras. Ils se blottirent l’un contre l’autre pendant un moment. J’étais émue devant cette scène. On voyait bien la complicité entre eux et l’amour qui s’en dégageait. Voyant cette joie, je ne pus m’empêcher de proposer à Karim de rester dormir pour la nuit. Il accepta. Pour la première fois, je les vis souriant, surtout Alban, qui était si triste depuis tout ce temps. Ce soir-là, était le plus beau moment que j’ai vécu, je ne l’oublierai jamais.

Le lendemain matin, j’emmenai Karim avec moi, à la banque. Le rendez-vous se passa plutôt pas mal, malgré ses problèmes d’élocution. Il ne tarda pas à trouver un petit boulot. Il avait été embauché comme serveur dans un bar. Il était assez content de son travail et n’avait quasiment plus de relations avec cette bande de racaille !

Un mois passé, tout se déroulait à merveille. Cependant, un jour où nous nous sommes promenés, Karim, moi et Alban, nous avons croisé malencontreusement les dealeurs. Ils s’avancèrent vers nous et nous emmenèrent dans une ruelle. Un des dealeurs commença à nous menacer verbalement. Karim réprimanda et voulut se battre. Je le retins. Une fois leurs menaces prononcées, ils partirent et nous sommes rentrés chez nous précipitamment. Nous avions vraiment peur de ce qui pourrait se passer, mais voilà, nous n’étions pas au bout de nos peines.

Le lendemain, je partis porter plainte même si ce geste ne servait à rien. Je suis restée plus de trois heures au commissariat. Et pendant ce temps-la, Alban était resté à la maison et Karim était parti au travail.

Le soir venu, je retrouvai Alban inquiet. Je lui ai alors demandé ce qu’il avait :

« Tu sembles faire la tête, qu’est-ce qui ne va pas ?

- Karim est toujours pas rentré !

- Ah oui, en effet, tu n’as aucune idée d'où il pourrait se trouver ?

- Bah non, il m’a dit qu’il rentrerait vers les sept heures.

- Il a un portable ou pas ?

- Non j’crois pas.

- Viens avec moi, on va le chercher. De toute façon, on n’a pas le choix. On ne sait pas ce qui a pu lui arriver. »

Cela faisait déjà trois heures qu’on le cherchait, et toujours rien. Nous étions de plus en plus inquiets. Il commençait à se faire tard, et nous décidions alors de rentrer car Alban commençait à fatiguer.

Malgré tout cet acharnement, nous n’avions eu aucune nouvelle de Karim.

Le lendemain matin, toujours rien. Alban et moi avons continué nos recherches, sans résultats malheureusement. Epuisés, nous décidions d’aller se poser dans un café. Voyant Alban très triste, je décidai alors de lui acheter un magazine. J’allai en direction du marchand quand on me proposa le journal. Je le pris sans grande attention.

Après avoir acheté son magazine, on se dirigea vers le parc. Dès notre arrivée, Alban se précipita en direction de l’Araignée. Entre temps, je m’assis sur le banc pour le surveiller. J’ouvris alors le journal pour m’occuper en attendant, tout en gardant un œil sur lui.

« Toujours les mêmes choses qui reviennent ! Un accident de voiture encore, tiens ?! Grève des éboueurs ! Eh voilà, encore un vol… Alban, ne t’éloigne pas trop !

- Ok !

- Tiens, je parie que la troisième page, c’est pareil ! Eh bien oui, « Aujourd’hui, un jeune d’environ 18 ans a été retrouvé mort dans une des rues du 19e arrondissement, des témoins ont confirmé qu’il avait été battu à mort. Apparemment, il travaillait comme serveur dans le restaurant Traditi… »

Je laissai tomber le journal par terre, Alban me regardait et vint vers moi. J’étais sûre qu’il avait compris. Je le pris dans mes bras et le serrai très fort contre moi :

- « KARIM !!! Pourquoi ? POURQUOI !!!!

Il le cria de toutes ses forces, mais malheureusement, cela ne changerait rien.

Finalement, ce drame nous a amené à changer de pays. Nous ne voulions plus avoir de problèmes. Il ne nous restait que son image gravée en nous. Ce choix était très dur mais nous n’avions pas d’autres solutions. Je savais au fond de moi que Karim aurait voulu cela pour le bien de son frère.

Voilà, maintenant nous vivons près de Bordeaux, dans un quartier paisible. Alban a su surmonter cette tragédie et moi… moi je suis restée Béatrice Merkel, sauf que mon point de vue a changé !

Quoiqu’il arrive, il faut garder espoir. Croyez en vos rêves, nous n’avons qu’une vie et elle mérite d’être vécue. Ne vous rattachez pas à vos problèmes. Voyez plutôt l’avenir. Dites-vous simplement que la vie, c’est comme une corde, il suffit de s’y attacher jusqu’au bout et une fois arrivé, vos efforts seront récompensés !

EB, SD, CF
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