_______________

Ca me fait une belle jambe

Nous sommes le soir du 15 janvier 2008. Je vis maintenant dans un petit chalet en bois dans le village de Mahlberg en Allemagne qui se situe dans la Forêt Noire. Ça n’est qu’à quelques minutes de Rhin, donc tout près de la frontière avec l’Alsace. Il m’arrive parfois d’aller y faire un tour… Cette vie n’a rien à voir avec celle que j’avais avant. Je vais donc vous raconter comment j’en suis arrivé là en si peu de temps…

***
Tout commence le 14 juillet 1960, le jour de ma naissance. Je suis née à Leipzig, en Allemagne de l’Est. Tout ce que je sais alors sur moi est que j’ai grandi dans un orphelinat de cette même ville. Après avoir fait des études de comptabilité, j’ai décidé d’aller vivre en France. Je ne sais pas pourquoi mais ce pays m’avait toujours attirée. J’ai d’abord trouvé un petit appartement dans le 15e arrondissement de Paris avec une colocataire italienne. Je continuais mes études tout en prenant des cours de français le soir afin de m’améliorer et de trouver un travail ici.
J’ai ensuite trouvé un poste dans une banque où je suis rentrée au guichet, puis devenue conseillère clientèle. J’ai rencontré Pierre, un jeune homme un peu plus âgé que moi, qui vivait dans l’appartement d’à côté.
Quelques années plus tard, nous nous sommes mariés. J’avais alors vingt-huit ans, et lui trente-et-un ans.
J’ai vécu avec lui près de quinze ans. Nous avons acheté un magnifique appartement près de la place d’Italie dans le 13e arrondissement de Paris, nous n’avons pas eu d’enfant, ce qui ne nous a pas empêchés d’être très heureux… Nous avons racheté à un de ses collègues de la brigade des stup’ son chien, devenu trop vieux pour le travail, un adorable berger belge croisé malinois appelé Milord… Mais comme on dit, toutes les bonnes choses ont une fin… malheureusement. Mon mari, Pierre qui était policier pour la police judiciaire, s’est fait tuer pendant son service. Ils travaillaient sur une grosse affaire depuis plus d’un an et demi. Une histoire de trafic d’armes avec la mafia russe… Pierre s’est pris une balle dans la tête. Ça a été un coup très dur.

***
Peu après, peut-être pour ne plus y penser, j’ai cherché à en connaître plus sur ma famille biologique. J’ai eu beaucoup de mal à trouver des informations sur eux. Mon livret de naissance avait été perdu, à l’orphelinat où j’avais grandi, personne ne savait d’où je venais. Un incendie avait détruit les archives dans les années 80.
J’ai donc fait appel à un détective privé afin qu’il m’aide à retrouver ma famille.
Au bout de six mois de recherche, il avait enfin une piste, qui s’est avérée être fiable. J’ai alors découvert que j’étais la demi-sœur cachée de la célèbre chancelière Angela Merkel. Son père, (et donc le mien) avait eu une liaison extra-conjugale avec une étudiante française, de laquelle j’étais le fruit. Monsieur Merkel ne voulant pas assumer ça, ne m’a pas reconnue, et ma mère, qui était trop jeune pour s’occuper de moi seule, a accouché sous X et m’a abandonnée dans un orphelinat, pour mon bien comme on dit.
Il m’était donc impossible de retrouver ma mère, qui était peut-être morte depuis, quant à mon père… Je ne me sentais pas la force d’aller le voir afin de lui dire qui j’étais vraiment… Mais au moins, je me sentais mieux, je savais plus ou moins d’où je venais.
J’ai mis du temps à me remettre du décès de Pierre. Je ne fus d’ailleurs pas la seule. Peu de temps après, Milord se laissa mourir de faim. Il était déjà vieux, mais même le vétérinaire m’a dit qu’il n’y avait rien à faire. J’ai donc décidé de reprendre un autre chien, probablement pour me sentir moins seule. Je me suis donc rendue dans un chenil de la S.P.A et y ai trouvé un petit golden retriever.
Les jours et les mois passèrent… jusqu’à il y a environ un an. Je commençais à me sentir comme observée. Partout : à la maison, au bureau, en sortie…
J’entendais des bruits de pas derrière moi, et dès que je me retournais, plus personne, des appels sans personne qui répond au bout du fil, des objets et dossiers qui bougeaient dans mon bureau…
Jusqu’au jour où, j’ai reçu une lettre, vous savez comme dans les films, des lettres de journaux découpées et recollées sur une feuille blanche : « Je sais qUi Vous êTes ».
J’ai au début pensé que c’était une blague, puis j’en ai reçu d’autres… ainsi que des appels anonymes. C’est là que j’ai commencé à prendre peur. Je n’osais plus sortir, j’ai donc repensé au détective qui m’avait aidée quelques années auparavant. Admettons, ses prix étaient plutôt élevés, mais je n’avais pas vraiment le choix, j’étais subjuguée par la peur et j’avais besoin qu’il éclaircisse cette histoire au plus vite.
Suite à ses recherches, j’ai appris que les mystérieux appels provenaient d’un certain Sébastien Poquelin, qui se trouvait être le nouveau stagiaire. Pour situer le personnage : il ressemble à une mouche croisée d’une taupe avec ses lunettes triple épaisseur, haut comme trois pommes et demie, fin comme un fil de fer, la raie sur le côté, comme dans le cinéma des années 50, pantalon en velours usé, veste de costume deux fois trop large, lui arrivant aux genoux, et pull tricoté-main plein de trous... Vous n’imaginez même pas le cas... pauvre de lui !
J’ai donc pris la décision d’aller lui en toucher deux mots le lendemain matin.
Par malheur, le matin suivant, le mal était fait. En sortant de mon appartement pour me rendre au travail, j’avais déjà senti que quelque chose n’allait pas. Dans la rue, beaucoup de monde me dévisageait et se retournait sur mon passage, sans que je ne comprenne pourquoi.
Lorsque je suis rentrée dans l’agence, j’ai alors compris ce qui se passait. Sur mon bureau, trois magazines people m’attendaient. Sur les couvertures, on pouvait lire en gros titre :
« TOUT SUR LA SŒUR CACHÉE D’ANGELA MERKEL », à côté de deux photos, une d’Angela Merkel, et l’autre de moi, Béatrice Merkel entre Britney Spears, Nicolas Sarkozy et son ex-femme (ça me fait une belle jambe, à moi, la cinquantenaire qui n’avait rien demandé à personne !).
Bien que nous ayons le même nom et un physique assez ressemblant, je n’aurais jamais soupçonnée cette éventualité avant de le découvrir moi-même. Mais là n’était pas le problème. Je refusais qu’on dévoile ainsi ma vie privée dans des magazines.
Cette fois-ci, je ne portais plus plainte contre on-ne-sait-qui, mais contre les magazines qui avaient publié ces articles (sans même m’en parler), pour atteinte à la vie privée.
Il y a donc eu finalement un jugement. J’avais pris un des meilleurs avocats de la ville.
Et, quelques semaines plus tard, le verdict était tombé, tout était fini. Les journaux ont été obligés de me verser huit-cent mille euros de dommages et intérêts.
Alors j’ai décidé de tout plaquer, et de repartir en Allemagne.
J’ai démissionné, vendu mon appartement et racheté un petit chalet, là, dans la Forêt Noire. Le petit chiot que j’avais pris à la S.P.A après la mort de mon mari, il y a déjà quelques années, est maintenant adulte, et dort au pied de la cheminée.
Voici donc, comment j’en suis arrivé là.


HB, CV
2008 - Ecrire avec, lire pour © Droits réservés