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Révélations et sanglots

Paris dormait encore en cette matinée du 10 janvier. Un homme marchant péniblement dans les rues, soutenu d’une canne, passait devant le parc de Choisy, dans le treizième arrondissement. Il rejoignit un immeuble d’une rue proche de la place d’Italie. Dès qu’il fut arrivé devant le bâtiment des souvenirs, qu’il avait crû enfouis à tout jamais, rejaillirent comme si ces dernières années n’avaient pas existé. Il se souvint de tout et, maintenant qu’il était devant cette porte, hésita à aller plus loin. Mais se disant qu’il n’avait pas fait tout ce chemin pour repartir si près de son but, il sonna au portail.

Personne ne répondit à cette première sonnerie. Il sonna une seconde fois. Rien ; pas un bruit ne se faisait entendre à l’intérieur. Pensant que la propriétaire de l’immeuble n’habitait plus au rez-de-chaussée, il s’apprêta à partir. La porte s’ouvrit sur une vieille femme paraissant encore endormie et assez énervée de se faire déranger de si bonne heure. Elle le vit et un sourire apparut sur son visage, contente de le retrouver après de si longues années. Ils s’échangèrent les formules de politesses couramment utilisées. L’homme lui coupa la parole pour ne pas s’étendre sur un sujet encore trop douloureux. Il lui demanda si elle pouvait le loger pour quelques jours, le temps de se reposer un peu ainsi que de redevenir présentable. Sans réfléchir, elle accepta et l’emmena vers l’escalier. Arrivés aux combles, elle ouvrit une porte et le fit entrer dans une petite chambre où l’on pouvait constater que personne n’avait séjourné depuis longtemps.

La pièce était éclairée par une seule petite lucarne qui laissait passer les premiers rayons du soleil. Le lit était disposé contre le mur à droite de l’entrée et à l’opposé de l’ouverture. Une table de nuit lui était accolée. Une commode couverte de poussières se trouvait juste en dessous de la fenêtre. Elle ouvrit en grand la petite lucarne pour enlever les odeurs de renfermé. En lui disant de s’installer à son aise, elle sortit chercher de quoi manger, du linge propre pour le lit et pour lui.

Dix minutes passèrent avant son retour. Elle le découvrit assoupi sur le lit, allongé sur le côté. Sans faire de bruit elle mit sur lui une couverture et déposa silencieusement le plateau avec un petit déjeuner sur la table de nuit. Elle ferma doucement la porte et prit la direction de l’escalier.


Redescendant vers le rez-de-chaussée, elle croisa sa nouvelle locataire du premier étage gauche. Elle s’appelait Béatrice Merkel. Elle venait d’Amérique où elle et sa mère avaient fui le nazisme. Son père qui avait été un opposant au régime hitlérien les avait emmenées en France mais avec la guerre qui avait éclaté, il les avait fait partir vers les Etats-Unis pour les mettre toute deux en sécurité. Hélas, il n’avait pas pu les suivre par manque d’argent et était resté en France avec l’espoir de les revoir un jour.

A la fin de la guerre, elles avaient voulu le retrouver mais sa mère tomba gravement malade et plusieurs années plus tard elle mourut durant son sommeil. Après le deuil de sa mère, Béatrice reprit ses recherches pour retrouver son père. Elle passa de nombreuses heures à faire des démarches, à remplir des formulaires et à consulter les registres de personnes mortes ou disparues. C’est durant l’une de ses visites à l’ambassade allemande qu’elle avait rencontré son ex-mari, un juif qui avait fuit le nazisme. Il recherchait sa petite sœur que ses défunts parents avaient laissée dans un établissement qui cachait les jeunes enfants sous de fausses identités. Mais alors que, durant leur première année de mariage tout n’était que bonheur, il tomba éperdument amoureux d’une jeune américaine qui sonna la fin de leur union. Ils firent les démarches pour le divorce et elle repartit vers la France suivre un début de piste sur la disparition de son père.

C’est ainsi qu’elle s’était présentée lors de sa visite pour la location de l’appartement. Presque dès son emménagement dans l’immeuble, elle avait trouvé un travail dans une banque ce qui avait rassuré la propriétaire, madame Logèse, sur ses moyens de payer le loyer de chaque mois.


Béatrice la vit, elle lui demanda en fermant sa porte à clef, « J’espère que vous êtes toujours libre pour ce soir ? Le repas devrait être prêt pour vingt heures, mais venez un peu avant, nous pourrons discuter. »

Madame Logèse, se souvenant de l’invitation du soir, lui répondit de ne pas s’inquiéter car elle n’avait aucun empêchement et qu’à l’occasion, elle pourrait l’aider pour la préparation du repas. Elles descendirent ensemble. Arrivées en bas, Béatrice la quitta pour aller travailler.


Elle avait invité toutes les personnes qui habitaient l’immeuble à prendre le repas et passer la soirée ensemble pour faire plus ample connaissance car toutes les personnes qu’elle avait connues lors de son bref séjour en France entre 1934 et 1939 n’habitaient plus dans la capitale ou étaient décédées.

*

Au même moment dans l’appartement du deuxième étage gauche, monsieur Marcvin qui s’était réveillé en sursaut, à cause d’un étrange bruit, se demanda qui faisait tant de remue-ménage à une heure si matinale. Il se leva et se prépara un café. Une fois prêt, il le versa dans sa tasse du matin. Il possédait quatre tasses pour la journée, une pour le matin, une pour le midi, une pour la collation de l’après-midi et une pour le soir. Il alla jusqu’à une petite table devant la fenêtre de son bureau. Il s’assit et commença à laisser son esprit vagabonder dans l’espoir de trouver l’inspiration pour écrire la fin de son roman commencé il y a de ça un an.

Monsieur Marcvin était écrivain et même si ses romans n’étaient pas des références, ils se vendaient bien , ce qui lui permettait de vivre convenablement sans chercher un autre métier qui ne l’aurait certainement pas rendu heureux.

Soudain il se rappela qu’il avait deux événements importants aujourd’hui. Le premier : la réunion des camarades du parti communiste. Le second : l’invitation de sa voisine pour le repas du soir. Il alla s’habiller pour la circonstance et sortit chercher de quoi manger pour le midi ainsi qu’un petit cadeau pour cette charmante voisine qui l’invitait. Tout excité car à part les réunions du parti il n’était pas souvent convié à manger chez quelqu’un.


*

Dans l’appartement d’en face vivait monsieur et madame Redignac. Ils avaient tous deux fini de prendre leur petit déjeuner et étaient presque prêts pour aller ouvrir la petite épicerie qu’ils possédaient depuis l’entre-deux guerres. Monsieur Redignac l’avait reçue en héritage de son père quand celui-ci avait décidé de prendre sa retraite à la mort de sa femme. Depuis ce jour, il n’avait pour seul but que de faire prospérer l’affaire familiale qu’il espérait que son fils reprendrait un jour. Celui-ci était parti faire des études supérieures et n’avait guère envie de reprendre la petite boutique de famille.

Madame Redignac, était une ancienne chanteuse de cabaret qui possédait peu de notoriété et de talent. La grande différence d’âge ne l’avait pas empêchée d’être séduite après de longues heures de déclarations enflammées à la fin de chacune de ses représentations. Le mariage signé, elle rompit son contrat avec le cabaret qui l’employait pour aider son mari.


*

Pendant ce temps-là dans l’appartement du dessous, madame Duron dormait encore et, comme chaque nuit, elle faisait encore le même rêve. Il commence toujours par des retrouvailles pleines de joies avec un jeune homme. Après quelques instants, des hommes rentrent en hurlant dans la maison, les séparent et les emmènent à l’extérieur. Là, on l’emmène jusqu’à une chaise sur une estrade où on l’insulte. Puis, alors qu’elle cherche des yeux son amant, elle entend le bruit d’une déflagration de fusils-mitrailleurs. A partir de cet instant plus aucun son ne lui parvient. Elle semble paralysée, le regard dans le vide et le souffle coupé. On lui rase la tête et on la traîne une croix gammée peinte sur son crâne à travers les rues. Elle se réveille en sueur, terrorisée et en pleurs car elle sait que ce n’était pas un rêve en 1944. Après quelques minutes, assise sur le bord de son lit pour reprendre ses esprits, elle se lève les jambes tremblantes. Elle prépare son petit déjeuner et prévoit ses activités de la journée. Aujourd’hui, se souvenant de l’invitation du soir, elle sourit à la perspective de passer une soirée en compagnie, pour la première fois depuis longtemps.


*


Un peu plus tard dans la journée, madame Logèse alla vérifier si l’homme des combles n’avait besoin de rien. Elle entra dans la chambre. Elle le découvrit pensif en mangeant le petit déjeuner qu’elle lui avait apporté. Il la remercia de sa générosité. Quand elle essaya de commencer la conversation pour savoir où il se trouvait ces dernières années, il lui répondit « Je ne suis pas prêt à parler de mon absence, s’est encore trop proche. Peut-être qu’un jour je pourrai vous le raconter. » Elle le laissa tranquille espérant qu’un jour il lui dévoilerait ce qui s’était passé durant toutes ces années. Elle lui narra la fin de l’occupation en commençant, bien évidemment, par la libération.


*


Bien plus tard dans la journée, Béatrice Merkel, de retour dans son appartement, préparait le repas du soir quand on frappa à sa porte. Elle alla ouvrir. Elle découvrit monsieur Marcvin qui, n’ayant aucune inspiration à cause de son impatience, était venu en avance avec un paquet qu’il lui donna en disant :

« J’espère qu’il n’est pas trop tôt pour venir et trop tard pour apporter le dessert.

- Aucun des deux, entrez donc, je vous en prie. Elle le guida jusqu’à la salle à manger. Je vais emmener le gâteau à la cuisine, mettre à chauffer le repas et je reviens. Mettez-vous à l’aise. »

Elle sortit de la salle à manger pendant quelques minutes durant lesquelles monsieur Marcvin resta seul contemplant les quelques éléments de décorations. Celle-ci était sommaire et on pouvait deviner qu’elle venait juste d’emménager dans l’appartement. Toutefois, on aperçevait quelques photos, un bouquet de fleurs posé sur la table, un miroir au dessus d’une ancienne cheminée, un buffet, un canapé ainsi que quelques plantes posées aux coins de la pièce.

Lorsqu’elle revint, elle le découvrit assis, marquant sans donner l'impression de réfléchir des informations sur un petit carnet de notes qu’il traînait toujours, où qu’il aille.

« Que faites-vous ? » demanda-t-elle curieuse de ce qu’il écrivait.

« En voyant votre appartement, j’ai eu quelques idées que j'inscris avant de les oublier car, comme vous pouvez peut-être le savoir, je suis écrivain. Donc, quand j’ai des idées qui me semblent intéressantes, je les note pour les réutiliser plus tard ou au moins pour ne pas les oublier, mais dans le doute je les retiens et les garde de côté. »

Les yeux brillants à l’idée que son logement serait peut-être un lieu important d’un prochain roman, elle rêva à des lieux magiques des contes de fées. Revenant à la réalité par un klaxon dans la rue elle lui demanda :

« J’oubliais, voulez-vous quelque chose à boire pour patienter ? Je n’ai pas un grand choix. Mais je peux sûrement trouver quelque chose.

- Non, rien merci. Je n’ai pas très soif. »

Il termina d’écrire sur son carnet puis se remit à regarder les photos qui se trouvait autour de lui. Il n’était pas très habile pour parler aux femmes, qu’il éprouve ou non des sentiments pour elles. Alors ne sachant quoi dire il espérait qu’elle aborderait un sujet pour briser ce silence.

Mais ce ne fut pas elle qui le brisa. Des coups se firent entendre à la porte. Elle sortit de la pièce pour aller ouvrir et il se sentit bête d’être aussi timide face à sa voisine.

Quelques instants plus tard, elle revint avec madame Logèse. Il la salua et à son grand soulagement celle-ci l‘interrogea pour savoir si ses livres se vendaient bien.

« Ils se vendent bien, sans malheureusement, atteindre les sommets. Je vais bientôt envoyer mon petit dernier à mon éditeur qui va sûrement, comme d’habitude, me demander de faire des modifications pour qu’il se vende mieux. Bien sûr, je vous donnerai un exemplaire si vous le voulez comme pour chacune de mes dernières publications.

- Vous savez, même si ce ne sont pas les livres les plus achetés, ils sont quand même très intéressants. Personnellement dès que vous m’en donnez un, je le dévore très rapidement. Ils me font rêver, oublier la réalité qui me semble parfois si cruelle.

- Pourrais-je l’avoir aussi ? lui demanda Béatrice qui adorait lire et ne connaissait pas sa plume.

- Évidemment et d’ailleurs si vous souhaitez lire les autres je vous les offrirai volontiers.

- J’en serai enchantée. Maintenant excusez-moi, je vais vérifier la cuisson du repas. »

Elle sortit les laissant discuter tranquillement car, outre le dîner, elle devait préparer quelques affaires pour la soirée.

Pendant ce temps-là, dans l’appartement du deuxième étage droit, le couple Redignac se disputait encore sur le même sujet, la fidélité de madame Redignac. Depuis leur mariage, il n’avait cessé de se croire trompé par sa femme et ce soir, la polémique tournait autour d’un client du magasin qui selon le mari lui avait fait un clin d’œil "implicite".

« Je te jure que je ne t’ai pas trompé, réagit-elle énervée par cette nouvelle accusation, et de plus il ne m’a pas fait de clin d’œil ! Il a simplement cligné des deux yeux sûrement à cause du soleil ou d’un tic peut-être.

- Je sais ce que j’ai vu ! rugit-il brutalement. Il t’a fait un clin d’œil en te souriant, avoue, tu as couché avec cet homme.

- Mais c’est pas possible, pourquoi veux-tu toujours croire que je te trompe ! répliqua-t-elle sur un air de lassitude. De plus, ce n’est pas le moment de discuter de ça, nous allons être en retard pour l’invitation de notre voisine du premier gauche.

- Tu ne t’en tireras pas comme ça, néanmoins tu as raison, on ne doit pas arriver en retard. Nous en rediscuterons plus tard. »

Ils se mirent en tenue sans échanger une parole et sortirent de leur appartement. Quelques instants plus tard ils sonnèrent chez Béatrice, arborant un visage joyeux comme si cette dernière altercation n’avait jamais eu lieu.

Un quart d’heure plus tard, madame Duron frappa à la porte, un bouquet de fleurs en main. Béatrice lui ouvrit et la mena jusqu’à la salle à manger où tous étaient déjà confortablement installés. Après avoir salué tout le monde, elle s’assit à la place de monsieur Marcvin qui s’était levé pour lui laisser sa place. Même s’il n’osait rien dire, il était complètement sous son charme. Il prit une chaise, la rapprocha du divan et, en s’asseyant, prit un petit amuse-bouche que Béatrice venait d’apporter avec quelques coupes d’un cocktail maison.


Tout le monde discute et plaisante en prenant l’apéritif. Le sujet de leur conversation actuel traite du prochain roman en conception de monsieur Marcvin. Celui-ci, heureux de pouvoir aborder sa grande passion et d’être le centre des attentions, raconte un peu de l’histoire.

« Mon prochain roman parle de l’histoire de Clément Leseau, un jeune communard. Le récit se déroule pendant la semaine sanglante et raconte la fin de cette utopie. Cependant, j’ai inclus dedans quelques éléments fantastiques comme à mon habitude... »

Madame Logèse, fidèle lectrice de ses romans est attentive et curieuse des moindres détails :

« - Vous ne pouvez pas nous laisser comme ça, donnez-nous d’avantage de détails.

- Tout ce que je m’autorise à vous dire pour l’instant, c’est qu’une créature mystérieuse y apparaît.

- J’ai hâte de lire ce récit ! » dit madame Duron plein d’étincelles dans le regard et le sourire aux lèvres.


Madame Redignac ne semble pas très présente, elle pense à cette dispute avant la soirée. Cette fois-ci elle ne voit pas comment s’en sortir. Elle avait pourtant bien dit à ce client prétentieux qu’elle avait changé depuis la fin de l’occupation allemande. Rien n’y avait fait, il revenait toujours, espérant recevoir de nouveau ses faveurs.

Son mari semble dans le même état d’absence. Il avait aperçu une ancienne photo dans la chambre de Béatrice qui le troublait profondément. Il ne savait pas s’il avait imaginé ce qu’il avait vu car son esprit venait le torturer constamment. Cette photo semblait tellement vraie et ressemblante. Une question revenait sans cesse « était-il possible qu’ils se connaissent ? »La culpabilité est toujours présente.

Béatrice, quant à elle, est partie dans la cuisine vérifier que la cuisson du repas est parfaite. Elle arrose le poulet qu’elle avait réussi à trouver dans un petit marché. Elle sort de la cuisine et se dirige vers la chambre. Elle y entre et prend une photo posée sur la table de nuit. Elle ressort et part vers la salle où se trouvent les invités. A quelques pas de la porte, elle s’arrête. Une minute passe où seul le bruit de la conversation d’à côté brise le silence. Elle respire profondément et pénètre dans la pièce.

Dès son arrivée, elle attire l’attention de l’assemblée et leur demande de se mettre à table. Quand tout le monde est installé et, avant que les discussions ne reprennent, elle sort la photo et la pose. Tout le monde la fixe. Aucun d’eux ne bouge, comme pétrifié par cette vision. La reproduction présente un homme d’une trentaine d’année dans un costume du dimanche. Béatrice, avant de prendre la parole, s’assoit au bout de la table. Laissant passer quelques instants. Elle déclare « Voici mon père. » Tout le monde la regarde.


« J’ai appris qu'il avait séjourné dans cet immeuble pendant l’occupation. Ainsi que c’est ici que vit celui où celle qui l’a dénoncé...

- Comment ça déporté ! s’exclama madame Logèse. Je ne le savais pas, je croyais qu’il avait fui une rafle où qu’il était parti retrouver sa famille. Vous...

- Malheureusement il n’en a pas eu le temps. Maintenant j’aimerais connaître la vérité et ce qu’il s’est passé durant son séjour ici. »

Monsieur Marcvin se lève.

« Que faites vous ? » demanda Béatrice.

Monsieur Marcvin comme s’il n’avait pas entendu se dirige vers la fenêtre. Il regarde à l’extérieur. Il se retourne et parle.

« J’étais ami avec votre père. Nous nous étions rencontrés en 1940. Je venais juste d’arriver en ville pour remplacer un résistant tombé héroïquement. Quand, quelques jours après que j'eus pris contact avec le réseaux, on me présenta votre père que j’avais pour mission de cacher. Je le conduisis dans cet immeuble où madame Logèse ferma les yeux. Très vite nous devînmes amis. Je lui rendais visite deux fois par jour. La première, le matin avant le lever du soleil pour lui apporter de quoi manger et s’occuper. La seconde, le soir après le coucher du soleil. Lors de cette visite, nous discutions longuement. Je lui racontais l’évolution de la guerre, les actions de mes camarades ainsi que l’augmentation de la misère et le manque de nourriture. Mais ce que je préférais c’était nos débats, nous passions des heures entières à débattre de tout et de rien. Surtout de la politique et de système économique à vrai dire. J’étais et je suis toujours communiste. Lui aimait le libéralisme qu’offre le système capitalisme. Cependant même si le ton montait parfois, nous nous arrêtions toujours pour ne pas blesser l’autre. Malgré l’occupation, j’ai passé certaines de mes plus belles soirées lors de cette période. Un jour, il me demanda s’il pouvait intégrer notre réseau. Tous les membres l’acceptèrent. A partir de cet instant, je fis mon devoir avec lui. Nous réussissions toutes nos missions. Malheureusement cela n’a pas duré. Une nuit de 1943, nous devions aller prendre en embuscade un officier nazi qui ne devait pas être très gardé. Le jour précédent, je tombai malade et malgré mon insistance je dûs rester chez moi. J’écoutai la radio quand j’entendis que l’on nous avait dénoncés. Je me suis levé et j’ai couru vers le lieu de l’embuscade. Quand je suis arrivé, il était trop tard. Je vis les survivants de l’assaut monter dans des camions. Les blessés étaient exécutés. Votre père faisait partie des premiers. Après cela je me cachai à mon tour et n’eus plus de nouvelles d’eux. Je suppose qu’ils furent soit exécutés soit déportés vers des camps en Allemagne. Quant à moi, je ne ressortis que lors du soulèvement de Paris après le débarquement en Normandie du 6 juin 1944. Je n’avais raconté cela à personne. Vous êtes les premiers. »

Tout le monde se regarde. Béatrice le fixe des yeux. Il baisse la tête, honteux de ne pas avoir fait partie de ses amis et de n’être pas arrivé à temps. Béatrice prend la parole.

« Vous n’avez rien à vous reprocher. Ce qui est arrivé est passé depuis longtemps et si ce que vous avez dit est vrai, alors il y a encore de l’espoir pour que je le retrouve. »

C’est à ce moment que madame Logèse décide de prendre la parole.

« Il y a plus que de l’espoir, je sais où il se trouve. Il est arrivé ce matin. Je le loge dans les combles. »

Tout le monde la regarde. Béatrice bondit de sa chaise les larmes aux yeux, des larmes de joie. Ils se lèvent tous et se dirigent vers les combles. Béatrice la première. Elle arrive devant la porte, il n’y a aucun bruit à l’intérieur. Son rêve le plus cher depuis leur séparation va se réaliser. Elle tourne doucement la poignée. Ouvre la porte. La pièce est plongée dans l’obscurité. Madame Logèse qui arrive derrière avec une ancienne lampe à pétrole éclaire la pièce. Son père est allongé sur le lit. Béatrice s’approche et essaye de le réveiller. Quelques minutes passent. Béatrice, des larmes de tristesses perlant à ses yeux, hurle et tombe à genoux devant le corps sans vie de son père. Elle vient juste d’apercevoir des marques suspectes au niveau de son cou. Elle reste assise le corps sursautant par les pleurs. Madame Logèse, dans l’entrée, est glacée d'effroi. Les autres locataires arrivent et découvrent, horrifiés, la scène macabre. Monsieur Marcvin est le premier à reprendre ses esprits et à redescendre pour appeler la police. Les autres restent pétrifiés. Seule Béatrice semble animée. Mais ce sont les sanglots de la tristesse et du désespoir qui la font trembler.

SM
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