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Une vie de chien

Comme tous les matins, je me lève à six heures trente pour aller travailler. J’habite le 13e arrondissement de Paris. Je me prépare, puis prends la voiture. En chemin, je regarde un petit chien qui me fait penser à mon ancien : Vivaldy, je l’avais adopté à la SPA, lorsque je cherchais un petit compagnon. Je le revois encore… assis dans sa petite cage… me regardant avec ses doux yeux sombres… il me fit craquer ! Le dirigeant m’annonçait alors que Vivaldy avait déjà travaillé avec la police, mais qu’il cachait en lui un sentiment comme un secret introuvable… Je lui répondis que c’était ce chien-là, oui… celui-là que je désirais ! Le lendemain, mon chien dormait tranquillement au pied du lit.Ma première journée avec lui fut terrible ! J’étais partie travailler à la banque, en laissant mon chien tout seul à la maison. Quelle erreur ! Le soir, quand je suis rentrée… je n’avais jamais vu la maison dans un tel débarras. Sur les meubles, on distinguait clairement des traces de griffes, des morceaux de bois sur le sol, les rideaux déchirés, le bocal à poisson vide… je n’osais imaginer où était rendu Maurice, la tapisserie déchiquetée, les armoires à moitié démontées… et le chien qui vint me faire la fête quand je suis rentrée du travail, me posant ses deux grosses pattes sur le ventre ! Quelle terreur ! Je poussai un long soupir ne sachant que faire.La première chose qui était à prévoir, c’était bien de refaire la maison, sans laisser le chien à l’intérieur, bien sûr ! La deuxième chose, c’était que je sois toujours et toujours avec Vivaldy, même à la banque.Je pris le collier et la laisse pour me rendre directement chez Leroy Merlin. J’ai bien cru que j’allais dévaliser tout le magasin !Après quelques jours de travaux dans la maison, je retournai travailler à la banque avec Vivaldy. Au premier abord, le directeur ne voulut pas du chien dans l’établissement, mais je lui expliquai la cause de sa présence. Finalement, il le laissa entrer et m’avertit qu’il n’avait pas intérêt à déranger la clientèle et les collègues de travail. Ce que je comprenais tout à fait.Depuis que j’étais avec lui vingt-quatre heures sur vingt-quatre, le chien ne bougeait plus et ne faisait plus aucune bêtise. Martine, ma collègue de travail, l’appréciait beaucoup. Elle l’aimait bien mon petit berger allemand et les clients le trouvait très divertissant.Quatre mois plus tardUne journée affreuse… Non ! Pas à cause de Vivaldy, lui, heureusement s’était montré très calme. Je viens de perdre Martine, lors d’un cambriolage… Une balle dans le cœur, elle est morte sur le coup. Une enquête a débuté pour retrouver le cambrioleur qui a réussi à partir avec une belle somme. La police m’interrogea et me posa plusieurs questions banales :« Etiez-vous là lors du braquage ?- Oui, j’étais à côté de Martine, avec mon chien.- Savez-vous pourquoi le cambrioleur a tiré ?- Eh bien, en fait, j’ai vu Martine qui a essayé d’appuyer sur l’alarme et à ce moment-là, le cambrioleur a tiré.- OK, votre chien avait-il un comportement instable ?- Instable, je ne sais pas vraiment, mais il est resté calme malgré ses grognements.- Hum, hum… Ne serait-il pas un ancien chien policier ? Où l’avez-vous acheté ?- Ah, mais oui ! bien sûr ! Je l’ai acheté à la SPA et le dirigeant m’avait annoncé qu’il avait déjà travaillé pour la police.- D’accord, il fait de la recherche humanitaire.- De la recherche quoi ?- De la recherche humanitaire, c’est-à-dire qu’il recherche des personnes disparues. .- Ah, d’accord, mais alors il vous serait très utile ?- Ne vous inquiétez pas, nous en avons d’autres, merci et au revoir madame Merkel.- Au revoir. »Je rentrai chez moi avec mon chien, déboussolée, comme si je ne pouvais rien faire et que j’étais coupable. J’aurais quand même pu éviter le coup ou faire quelque chose, mais non ! Je n’ai rien fait. Mais quelle lâche suis-je ? Comme je m’en veux.Je n’ai pas dormi de la nuit, Vivaldy non plus. Nous ne mangions plus… Pourquoi ? Nous ne savions plus. Comme si quelqu’un nous empêchait de faire ce que l’on voulait. Il faut que j’aille travailler, mais j’appréhende et s’il revenait ce cambrioleur ? Et si c’était moi sa prochaine victime ? J’ai peur, tout le monde a peur, mon chien aussi. Après une longue hésitation, je prends mes affaires et les siennes et nous rentrons dans la voiture. J’arrive devant les grandes baies vitrées de la banque… Le parking est désert, personne dans les rues. Il fait sombre dehors, c’est horrible. Mon chien est à côté de moi et je le sens ; Il essaie de me rassurer. Je grimpe les marches et pousse un long et interminable soupir. Je pousse la porte, installe mes affaires et celles de Vivaldy, comme d’habitude. Le directeur, Christophe, vient m’accueillir, mais il me manque une présence… Oui Martine ! Ma pipelette préférée. Mais il faut que je m’y fasse, elle ne reviendra plus. Elle ne me dira plus " Qu’est-ce qu’il est mignon ton chien ".Cette simple pensée et je fondis en larmes sur ma grande table. Christophe vint vers moi et me dit :« Ca ne va pas ? Tu sais, tu peux rentrer chez toi si tu veux. Ce n’est pas grave. »Je levai les yeux, puis m’effondrai dans ses bras. Le chien gémit aussi comme s’il pleurait. C’était monstrueux.A quatorze heures, généralement l’heure de pointe des clients, il n’y avait personne, il fallait s’y attendre ! J'aurais mieux fait de rester chez moi aujourd’hui, car il n’y aura eu qu’une pauvre grand-mère venue me demander des renseignements.Cette terreur, cette peur, cette angoisse aura duré pratiquement trois semaines. Comme ce fut long toutes ces journées passées derrière une misérable table à attendre le client !Nous sommes le 9 mai, une journée lourde et émouvante. Le cambrioleur est revenu et je l’ai reconnu ainsi que Vivaldy, sa façon de marcher, de nous agresser, son timbre de voix… C’était le même, j’en suis sûre.Heureusement que mon chien était là, car sinon c’était moi qui était la prochaine victime. Dès qu’il est entré, il s’est précipité vers moi, l’arme à la main. Il s’est arrêté devant moi et m’a redit exactement la même phrase qu’à Martine : " Mets tout le fric là-dedans ! " en me montrant un gros sac de sport. J’exécutai tous ses ordres quand je voulus appuyer sur l’alarme, il n’eut pas le temps de tirer. Vivaldy surgit de dessous la table et lui arracha l’arme des mains en emportant dans son élan le bras de l’agresseur. Il ne voulait plus le lâcher et lui comprimait tout l’avant-bras entre ses crocs. C’était épouvantable, mais je me sentais en sécurité à ce moment là.La police intervint avec au moins une quarantaine de policiers, mais c’était déjà trop tard, le cambrioleur succombait aux morsures.Je regardai mon chien et lui demandai de venir. Mais il ne bougeait plus, comme s’il était pétrifié. Soudain, un nuage de brouillard et de fumée envahit toute la pièce, on ne distinguait plus rien, plus personne, puis en quelques secondes tout redevint clair comme le jour. Je cherchais mon chien du regard, mais il avait disparu. Je vis devant moi, à sa place, un homme assis par terre, comme un chien, il pleurait.Je venais de comprendre, Vivaldy n’était pas réellement un chien, mais un être humain, tel que vous et moi.
PR
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