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Le manuscrit

La sonnerie d’un réveil retentit dans la pièce. Une femme le regarde, il affiche 4 : 30. Sa chemise de nuit est un T-shirt qui lui retombe sur les hanches. Elle est assez petite. Son visage rond est entouré de ses cheveux bruns dépeignés qu’un élastique attache grossièrement.

D’un pas chancelant, elle se dirige vers la pièce qui se trouve à côté de sa chambre. Il s’y trouve un ordinateur portable, ouvert, sur un bureau en bois, un petit carnet est posé près du clavier. Béatrice s’y installe. Elle regarde fixement l’écran qui s’allume. Elle ouvre un fichier et un texte apparaît. Lui aussi, elle le regarde avec indifférence. Puis elle se redresse de son siège et commence à taper quelques mots qu’elle efface peu de temps après.

Se renfonçant dans son fauteuil, elle lève les yeux au ciel et prend le carnet où on lit : « Un couple souriant demande une aide pour l’achat de leur nouvelle maison. » ou « La femme lance un regard de défi en posant les billets de 200 sur la table. » Considérant le clavier de l’ordinateur, elle soupire et fait défiler le texte. Trente pages. Elle siffle entre ses dents : « Dix ans pour ça… » Un air de mécontentement recouvre son visage, elle fronce les sourcils et fait la moue. D’un air décidé, elle se redresse et efface toute son œuvre. Elle sourit fière, mais finalement, d’un simple clic, elle annule son geste.

Béatrice quitte la pièce, d’un pas lent, va vers sa cuisine et ouvre un placard. Elle en sort un bol, des céréales et du lait. Elle mange le tout le regard dans le vide et mâche avec lenteur. Au bout de trois bouchées, elle sort de table et jette le reste. Elle va dans sa salle de bain. Elle prend ses vêtements accrochés à un portemanteau et se vêt d’un pantalon et d’une veste noire. Elle se coiffe, se lave les dents, elle s’asperge le visage d’eau froide, se regarde dans le miroir en écartant grand les yeux. Puis elle place un maquillage discret sur ses lèvres et ses yeux.

Elle regarde la pendule : sept heures. Elle prend la clé de son appartement sur la table, met en marche son anti-vol puis sortant, elle ferme les verrous derrière elle. Trois sécurités qu’elle ajuste méticuleusement.


Béatrice passe par la grande porte où est inscrit sur le front « BANQUE », saluant les personnes qu’elle croise d’un signe de la main. D’un pas décidé, elle entre dans un petit bureau où un homme l’attend.

« Bonjour monsieur Banhart. » dit-elle d’un ton neutre. L’homme sursaute et bredouille « Bonjour madame Merkel… »

- Qu’est ce qui vous amène ici aujourd’hui monsieur Banhart ? Avez-vous trouvé une solution à vos problèmes ? continue t-elle, d’un air indifférent, posant ses documents sur son bureau.

- Eh bien… euh… À vrai dire… Je sais pas…, réussit à bégayer l’homme rougissant de plus en plus.

Béatrice poursuit d’un ton faussement interrogateur et continuant son installation :

- Vous ne savez pas, monsieur Banhart ?

L’homme fond en larmes.

- Encore un prêt madame ! Ce n’est rien ! Je vous en supplie, je ne vais pas pouvoir nourrir ma famille !

- Vous n’avez pas de famille, monsieur Banhart… l’interrompt-elle.

- Je vous jure que j’arriverai à trouver un travail et je ne jouerai plus ! Il faut juste que vous m’aidiez ! Un dernier coup de pouce madame !

- Excusez-moi monsieur Banhart, mais nous en avons déjà parlé et non, je ne peux pas. Vous avez abusé de notre confiance en vous adressant à une autre banque et en essayant de nous tromper.


Béatrice Merkel est assise à une table avec son plateau déjeuner devant elle. Elle sort son carnet et note :

« L’homme endetté, après, se met à genoux et supplie pour avoir encore un peu d’argent. »

Béatrice Merkel monte l’escalier de son appartement et, arrivant devant sa porte, elle découvre qu’elle est fracturée. Horrifiée, elle en laisse tomber sa valise de travail et pousse lentement la porte qui grince légèrement. Elle avance dans la pièce et se dirige vers le téléphone pour appeler la police. Errant dans la pièce, elle prend un papier et note ce qui lui manque : « Le lecteur DVD, la chaîne hi-fi, l’imprimante… » Arrivée dans son bureau où devrait se trouver son ordinateur, elle ne le voit pas. Les voleurs avaient emporté son roman. Elle fixe le vide du bureau et ses yeux s’embuent de larmes. Elle reste immobile, tremblante. Au bout d’une minute, elle éclate en sanglots et balaie le bureau de ses bras, faisant voler tous les papiers qui y restaient. S’étant calmée, elle s’allonge par terre, regardant le plafond et pousse un long soupir.


« La police est finalement bien plus incompétente que l’on pourrait croire ! Voilà plus d’une semaine que le vol a eu lieu et ils n’ont toujours rien trouvé ! Je le les rappelle tous les jours pourtant, mais : rien ! Ils n’ont rien trouvé ! », s’exclame Béatrice Merkel à une collègue de travail avec qui elle discute dans le hall de la Banque. « Calme-toi, ils vont bien finir par le retrouver… », rétorque son amie, mais Béatrice énervée affirme « Je pourrais certainement le retrouver plus vite qu’eux ! »


Arrivée chez elle, elle découvre sur le pas de la porte un colis. Il est enveloppé dans des feuilles de journaux et semble plutôt épais. Béatrice regarde à droite et à gauche, hésite avant de prendre le paquet, puis le saisit et rentre à l’intérieur. Elle le pose sur une table et s’assoit en face. Elle le considère longuement avant de se décider à l’ouvrir. Elle décolle les bouts de scotch qui tenaient le papier puis d’un coup sec découvre le colis de son emballage. En face d’elle, un paquet de feuilles dactylographiées toutes commentées par des annotations manuscrites rouges. Elle le feuillette et découvre les lignes qu’elle a écrites. Elle secoue la tête et répète dans un souffle « Non, non, ce n’est pas possible… » Elle finit par reposer le manuscrit, les mains tremblantes. Le regard dans le vide, elle se mord la lèvre inférieure et se tord les doigts. Finalement, elle reprend le manuscrit et le parcourt de nouveau. Puis elle se ressaisit et cherche dans les feuilles de journaux. Elle trouve celle qui comporte le timbre et le cachet de la poste : avenue des Gobelins.

Elle se lève violemment et va chercher une carte dans son bureau : un plan du treizième arrondissement de Paris. Elle met le doigt à l’endroit où elle habite puis le fait glisser sur la carte jusqu’à l’avenue des Gobelins. Elle sourit, prend sa carte de bus dans son portefeuille.


Béatrice descend du bus, et marche jusqu’à la poste. Là, elle va voir une femme d’une trentaine d’années souriant derrière son guichet.

- Avez-vous envoyé un colis recouvert de journal apporté par un homme, hier ? interrogea Béatrice, les deux mains appuyées sur le comptoir.

- Bonjour, dit la jeune femme s’efforçant de sourire. Et bien, je ne sais pas, je n’étais pas de service hier, mais allez voir Clarisse là-bas, elle saura sûrement, dit-elle désignant une femme du doigt.

Elle alla voir la femme lui reposant la même question, celle-ci lui répondit :

- Ne soyez pas agressive comme cela, ça n’avance à rien. Oui, il y a bien un homme qui est venu, hier. Un paquet couvert de journaux, vous dîtes ? C’est bien ça, c’était un homme qui a la soixantaine, cheveux et moustaches blancs, plutôt grand… C’est tout ce que j’ai comme renseignements.

- Merci, dit Béatrice s’éloignant d’un pas rapide.


« Informations récoltées durant le week-end : » écrit-elle au début de la page blanche. Puis elle continue : « Il est grand, la soixantaine, les cheveux blancs, porte la moustache. Il est plutôt solitaire, n’a pas de femme ni d’enfant. Il fréquente régulièrement un café dans lequel, il va tous les matins. » Elle souligne cette information plusieurs fois. Puis rajoute des dates sur la carte désignant les endroits où elle a cherché. Elle jette un coup d’œil sur la pendule puis revient à ses occupations. Mais prise d’un doute, elle regarde de nouveau l’heure : sept heures cinquante-quatre. Elle se lève brusquement et sort à toute vitesse, ne prenant pas le temps de régler son antivol, ni de verrouiller sa porte. À l’arrêt de bus, elle regarde les horaires de passage : un bus est passé, il y a cinq minutes et aucun ne passe avant une demi-heure. Elle court donc vers la banque et lorsqu’elle arrive enfin, ses collègues la dévisagent, étonnés de son arrivée si tardive. Béatrice reprend son souffle, et calmement se dirige vers son bureau, ignorant les autres.


« Tu préviendras le patron, je ne serai pas là demain.

- Pourquoi ? T’as jamais raté un jour de boulot ! T’es malade ? répond la voix de son amie à l’autre bout du fil.

- J’ai peut-être retrouvé mon voleur et je veux être sûre de ne pas le manquer.

- Le psychopathe qui t’as volé ton ordinateur ? T’es folle c’est dangereux !

- T’inquiètes pas je serais dans un lieu public. J’ai trouvé l’endroit où il va régulièrement, c’est un café sur l’avenue des Gobelins, il y va tous les jours vers onze heures.

- Tu sais ça comment toi ?

- J’ai mené mon enquête comme la police est incompétente. Tu sais, il faut que je le retrouve, c’est important pour moi.

- Me dis pas que c’est la cause de tes absences de cette semaine.

- Bah si, mais j’ai assez d’informations pour lui faire peur et lui montrer que je peux le dénoncer quand je veux. J’ai passé ma semaine à le chercher, s’il est pas là demain je craque.

- Je trouve que tu t’en fais trop pour cette histoire, tu devrais laisser la police intervenir…

- Non, je veux savoir pourquoi il a fait ça… Bon je te laisse, à plus.

- Ouais salut …

Béatrice raccroche le téléphone et va s'asseoir dans un fauteuil son manuscrit sur les genoux. Elle n’y a rien modifié. Elle relit encore une fois les annotations et finit par s’endormir.


Le lendemain, elle prend peu de temps pour se préparer. Elle passe de l’eau sur son visage, se recoiffe et se remaquille. Elle attrape son manuscrit et sort de son appartement claquant la porte.


Assise sur un banc, elle regarde le café en face d’elle. Les jambes croisées, le manuscrit sur ses genoux, et les mains sur son travail, elle attend. Elle observe les allées et venues des clients dans ce bar. Un moment, elle croit l’apercevoir et elle commence à se lever mais elle se rend compte que l’homme ne va pas dans le café. Une seconde fois, un autre homme de soixante ans rentre dans le café, mais ressort une minute plus tard avec une femme. Elle regarde sa montre, il est plus de onze heures. Elle devient de plus en plus nerveuse, triturant le manuscrit entre ses mains mais ne quittant pas des yeux l’entrée du café.

Puis un homme arrive, il est plutôt grand, portant la moustache et ayant des cheveux blancs. Il a les mains dans les poches de son jean, il a une cigarette dans la bouche qu’il jette avant d’entrer dans le café. Béatrice voit à travers la baie vitrée de la façade du café qu’il salue le patron et va s’asseoir à une table près des grandes fenêtres, pour regarder les gens qui passent.


Béatrice se lève d’un bond et se dirige d’un pas déterminé vers son but. Avant de franchir la porte, elle prend une grande inspiration et se lance. Faisant résonner ses talons sur le carrelage, elle se rend à la table du voleur. Elle pose violemment le manuscrit sur la table faisant sursauter l’homme.

« Vous pouvez m’expliquer ça ? s’exclame-t-elle en désignant le manuscrit du doigt. Vous entrez chez moi par effraction, vous volez mes affaires et en plus de ça vous vous autorisez à critiquer ce qui m’est le plus cher ! Mais vous savez combien de temps, j’ai mis pour faire ça ??? Dix ans ! Et vous, vous osez détruire tout ça avec vos petits commentaires et votre stupide crayon rouge ! Vous savez que je peux vous dénoncer à la police ! Vous allez faire de la prison pour violation de domicile pour le reste de votre vie ! Si vous m’expliquez pourquoi est ce que vous avez fait ça et si vous vous excusez, je pourrais vous aider face à la police ! Je pourrais leur dire que vous saviez pas ce que vous faisiez et que vous commencez à être sénile ! Et puis, … que vous êtes un peu fou ! Mais je ne serais pas si tolérante si vous continuiez à rester muet ! Bon, vous vous obstinez et bien je vais vous dire au revoir Monsieur mais vous entendrez parler de moi !!! »

Elle reprend son manuscrit et repart rouge de colère d’un pas rapide. Pendant son monologue, l’homme n’avait pas réagi, il a juste eu l’air un peu étonné, mais il n’a pas essayé de s’expliquer ni de se justifier.


Ce n’est qu’à un kilomètre du café qu’elle ralentit son allure. Finalement, elle s’arrête dans un parc, où elle s’assoit sur un banc pour reprendre son souffle. Bizarrement, elle ne sourit pas. Elle se tord les mains de nouveau, lève les yeux au ciel. Elle prend une grande inspiration et ferme les yeux.


Elle ouvre la porte de son appartement avec lenteur. Elle prend un crayon et s’assoit à son bureau où il y avait jadis son ordinateur. Elle ouvre la première page de son manuscrit, son stylo à la main.


Béatrice se réveille en sursaut, la marque de sa main sur sa joue et le manuscrit ouvert à la page 9. Elle jette un regard fatigué sur le réveil qui se trouve à côté d’elle. Midi. Elle se précipite hors de la pièce, attrape son manteau et file à son travail.


À son arrivée, son patron l’attend. Il l’emmène dans son bureau. Elle s’installe en face de lui et il commence :

- Mademoiselle Merkel, si vous accumulez encore un retard, je vais devoir vous mettre à la porte… C’est entendu ?

- Oui bien sûr.

Béatrice sort du bureau, elle ne paraît pas affectée par la nouvelle et va accueillir ses clients.


Le sourire aux lèvres, Béatrice ferme la dernière page de son manuscrit et pose son crayon. Elle glisse le manuscrit dans un sac et part en direction du café.


« Voilà deux semaines que je vous attends, vous en avez mis du temps… », dit l’homme en la voyant arriver. Béatrice déconcertée par cette assurance, s’arrête sur le pas de la porte. Elle se ressaisit et avance vers l'homme.

- J'ai un travail aussi... , rétorque Béatrice en guise d'excuse. Elle hésite et montrant qu'elle n'est pas intimidée s'installe à sa table, posant le manuscrit à plat, elle tend les bras pour le faire glisser jusqu'à lui. L'homme le prend, le feuillette durant une minute et le repose avec un air insatisfait.

- Vous n'avez pas écrit grand chose..., finit-il par lâcher.

- Je vous l'ai déjà dit, je ne passe pas mon temps à errer dans les bars, j'ai un travail moi.
L'homme sourit face à ce début d'agression et Béatrice fronce légèrement les sourcils.

- Vous savez, avoir une passion comme la vôtre, c'est plus dur à entretenir qu'un travail. Et puis c'est surtout plus important...

Elle l'interrompt :

- Je ne peux pas abandonner mon travail et mes espoirs d'augmentation juste pour un bouquin que je ne suis même pas sûre de finir !

Il lève simplement les sourcils, et avec un air faussement étonné demande :

- Et pourquoi ?

Sans même prendre la temps de répondre, Béatrice se presse vers la sortie, agacée, rougissant face à ce personnage si étrange.

Elle s'éloigne de l'entrée, passe de l'autre côté de la rue et sans se faire voir, elle observe l'intérieur du café. L'homme finit son café, et ouvre la première page du manuscrit. Il sort un stylo de la poche de sa veste mais n'écrit rien. Il passe plusieurs pages de cette manière et au bout de la sixième page il note un commentaire. Béatrice sourit et satisfaite retourne chez elle.


Béatrice se réveille un matin. Elle se lève en peignoir et se prépare du café. Lorsque sa tasse est remplie, elle se dirige vers sa porte qu'elle ouvre. Elle y voit le colis de papier journal et son visage s'illumine. Elle y trouve aussi une lettre portant le cachet de la banque où elle travaille. Elle pose le tout sur la table et va se chercher un morceau de pain. Tout d'abord elle ouvre le colis, le rouge est moins présent qu'avant. Les premières n'ont presque pas d'annotations négatives. Béatrice se retient de sourire et d'un pas rapide, elle va corriger les fautes sur son bureau.

Entendant son ventre produire de forts borborygmes, elle se lève sans refermer son roman et va vers la cuisine. Elle sort une casserole et y met des raviolis, puis attendant que son plat soit prêt, elle erre dans la pièce, ramassant quelques papiers tombés de son meuble. Elle y retrouve la lettre de sa banque, intriguée elle l'ouvre. Ses yeux s'agrandissent au fur et à mesure qu'elle lit la lettre.

- Virée ! Je suis virée ! Pour quelques retards ...

À tâtons, elle trouve une chaise sur laquelle, elle se laisse tomber. La lettre toujours dans les mains, elle se met à être secouée de sanglots, répétant le mot "virée". Elle sort de cet engourdissement que lorsqu'elle sent la casserole de raviolis cramée sur laquelle elle se précipite pour éteindre le feu. Puis, face à la cuisinière, elle redevient immobile. Elle se tourne vers son bureau, prend son roman et le jette contre le mur. Elle s'habille à toute vitesse, enfilant pull et pantalon. Elle court au café.


L'homme est toujours là devant sa tasse de café. Elle entre à toute vitesse dans le bar. Elle se poste devant lui et s'exclame :

- Par votre faute, j'ai perdu un emploi stable et bien payé !!! Je n'aurai pas une deuxième chance pour retrouver un travail aussi convenable que celui-là ! Je vais faire comment maintenant pour vivre ???

- Calmez-vous... Vous ne savez pas la chance que vous avez d'avoir une passion aussi grande que la vôtre et d'avoir autant de capacité pour la développer...

- Il est beau votre monde, mais réveillez-vous ! L'argent ne tombe pas du ciel !!!

- Ne soyez pas si rationnelle...

- Être rationnelle est une question de survie !

- Il ne faut pas s'attacher au rationnel, et voyez la vérité en face, sans l'écriture, vous n'auriez pas survécu non plus. Vous voyez, j'ai enseigné le français pendant une trentaine d'années et puis j'ai tout plaqué en quelques jours.

- Et vous êtes devenu cambrioleur ! Bel aveni ...

- Mmmh oui... Je n'étais pas tout seul et puis avouez, ce que nous vous avons volé ne vous a pas réellement manqué.

- Euh... non pas vraiment, répond Béatrice en fronçant les sourcils et s'appuyant la tête contre la main. Elle regarde cet homme qui semble vieux et tranquille.

- Excusez-moi, je ne me suis pas présenté : Arthur Véberre.

- Béatrice Merkel.

- Oui je sais... C'était écrit sur votre roman.


Béatrice face à son roman, qu'elle a ramassé, corrige au mieux toutes les fautes signalées par son correcteur. Elle mordille son crayon, écrit, rature, réécrit, griffonne...


Sur le pas de sa porte, un nouveau paquet avec un message agrafé disant « Voilà un mois que vous travaillez à ce roman, vous approchez de la fin, il n'y a plus beaucoup d'étapes avant la version finale. » Elle prend le colis, déchire le papier et fait défiler les pages sous ses doigts son manuscrit. Elle recommence plusieurs fois le visage rayonnant. Puis elle va dans son bureau où elle attrape un crayon et finit sa correction.

« Ce rendez-vous sera peut-être le dernier, votre roman touche à sa fin. Je n'en aurai sans doute pas pour longtemps à ajouter les dernières retouches. » Arthur paraît confiant, il sourit. Béatrice repart chez elle.


Assise à son bureau, elle écrit sur une feuille : « Des Vies de Béatrice Merkel, Leurs Vies de Béatrice Merkel, Histoires Vitales de Béatrice Merkel, ... » Elle s'appuie contre le dossier de son fauteuil, s'étire, ferme les yeux et sourit.

« Vous ne l'avez pas revu ?

- Non madame, pas depuis votre dernier rendez-vous, trois semaines qu'il n'a pas remis les pieds ici...

- Merci...

Béatrice sort du café et s'arrête. Elle jette des regards à droite et à gauche, soupire un « Il a sûrement de bonnes raisons. » et repart, les mains dans les poches, les yeux rivés sur le trottoir. En rentrant chez elle, elle passe devant une librairie et en vitrine voit un livre à la couverture blanche et aux contours bleus. Dessus inscrit en lettres grasses et bleues « Histoire de Vies d'Arthur Véberre ». Béatrice s'approche de la vitrine, écarquillant les yeux. Durant une minute, elle fixe ce livre. Elle se précipite soudainement à l'intérieur et elle en ressort avec le bouquin entre les mains. Elle l'ouvre, le referme, le tourne et le retourne, fait glisser les pages entre ses doigts. Des larmes commencent à couler de ses yeux lorsqu'elle répète « Mes mots, ce sont mes mots ». Puis elle se remet à marcher, les bras le long du corps et le roman, dans sa main droite, semble pesé très lourd. Elle erre dans la ville jusqu'au soir. Elle arrive à une station de métro où elle y rentre. Elle s'assoit sur un banc près des rails et regarde les métros passer et repasser. Finalement elle se lève et se dirige vers la rame, le livre dans la main...

AF
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