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Poupée malgré elle

Nous sommes vendredi, Béatrice se lève, elle se dirige directement dans la salle de bains, elle prend une grande respiration et se regarde dans la glace, elle se décourage sur un ventre légèrement rond. Elle s’approche et s’observe ; c’est décidé, elle n’achètera plus cette crème « lift rajeunissante ». Après un long bain raffermissant, elle enfile son tailleur de chez Manoukian. Finalement habillée et « peinte » comme elle dit, elle se trouve plutôt jolie.

L’alarme de son téléphone sonne, il est l’heure d’aller affronter les bouchons à bord de sa Mercedes. Comme d’habitude, elle est arrêtée au feu rouge devant l’épicerie Lü Chang, elle klaxonne : Mr Chang prépare son étalage et lui fait un signe de la main généreux et amical.

Après trois quarts d’heure de bouchons, Béatrice gagne enfin le parking de la banque mais comme tous les vendredis, Josiane, qui est arrivée plus tôt, lui a pris sa place. C’est décidé, elle ne supporte plus son comportement arrogant, aujourd’hui, elle va lui parler. Elle entre dans la banque et salue Marie-B, la dame de l’entretien, puis elle se dirige dans son bureau pour y observer son planning. C’est bon : elle a une heure pour préparer son rendez-vous avec un nouveau client. Un petit café ? «Pas de refus », se dit-elle en se dirigeant vers la fameuse machine. Elle y croise Michel son meilleur ami « Oui, oui, je n’ai pas oublié, on mange ensemble ce midi ». Puis Josiane arrive à son tour « Bonjour Josi » et zut, elle ne lui a encore rien dit à propos de la voiture.

Neuf heures trente, le client est là et c’est parti, « Celui-là, il est pour moi, » se dit-elle. Pendant une heure et demie elle conte le bel historique de la banque et la confiance que l’on peut lui accorder. Objectif atteint, il acquiesce. Ce fut plutôt simple. Elle court vers la salle de pause où elle est fière d’annoncer à Michel l’adhésion d’un nouveau gros client.

Ils décident ensemble où ils iront manger : sushi, pâtes, américain ? Ils optent pour un mexicain. Une fois dans le métro, elle prend le temps de raconter à Michel son rendez-vous. Elle imite son client aux tics très développés en déambulant dans le métro comme une enfant imitant l’un de ses profs. Pendant le repas, Béatrice est incontrôlable, elle fait d’ailleurs un peu honte à Michel qui malgré tout ne peut s’empêcher de rire. Cet après-midi elle ne travaille pas, elle va chez le coiffeur. Elle a envie de changement, envie de plaire à nouveau. Elle sort donc de son sac le dernier numéro de Closer et demande à son ami de lui trouver une coiffure. « C’est bon, Michel, ce soir, je ressemblerai à Rihana. » L’heure tourne, elle paye les deux additions. « Si, si, j’insiste c’est pour toutes les cigarettes que je t’ai piquées ce mois-ci. » Cela rappelle à Béatrice qu’elle fume trop, depuis son divorce, elle ne gère pas bien sa dépendance.

En route, le métro est plein à craquer ; elle est trop serrée, elle a chaud. Elle tape dans le coude de Michel et lui fait un clin d’œil. Et hop ! Elle simule un malaise, Michel joue l’étonnement ; objectif atteint : la foule s’est dissoute pour lui faire de l’air. « Nous sommes mieux assis tout de même ! » Ils partent dans un fou rire incontrôlable. Il faut retourner au parking chercher la Mercedes, en effet le coiffeur ne va pas l’attendre ; ils pressent le pas. « Oh mon Dieu, un pneu crevé ! Bon, Michel, ça n’est pas aujourd’hui que je ressemblerai à Rihana. Mais vas-y! Tu vas être en retard, ne t’inquiète pas, je vais me débrouiller. » Béatrice n’a pas l’habitude de demander de l’aide ; elle n’aime pas dépendre des gens, un ancien mari trop possessif l’a rendu indépendante, peut-être un peu trop, pense-t-elle, c’est pourquoi elle remonte ses manches et se met au boulot. Ce n’est qu’après une heure de combat avec le pneu qu’elle peut enfin remonter à bord de son bolide.

Epuisée, elle rentre directement chez elle, l’ascenseur monte les étages 1, 2, 3… et stop, il s’arrête. Sa plus grande peur : rester coincée dans cette boite morbide ; elle appuie sur tous les boutons et un voyant lui annonce qu’elle est bloquée au sixième, à son étage ! Ce n’est qu’après dix minutes interminables qu’il reprend son envol. Un peu énervée par toutes ces mésaventures, elle s’assoit dans son rocking-chair et éprouve un sentiment bizarre comme une présence inhabituelle. Son instinct guide ses pas jusqu’au grand placard de sa chambre, elle s’arme du balai et ouvre d’un coup sec le rideau : rien ! Elle se plaque au sol et inspecte en dessous son lit : rien ! Puis elle se lève en ricanant, elle se rend compte de sa stupidité et se rassoit, sereine.

Seize heures : l’heure du goûter, son côté enfant n’a jamais réussi à se passer du fameux pain beurre chocolat. Elle ouvre le tiroir à couteau mais surprise ! A l’intérieur, des sous-vêtements, ses sous-vêtement ! Elle se met à trembler et s’imagine le pire, pourquoi ses pneus, pourquoi l’ascenseur bloqué ? Qu’est-ce qu’on lui veut ? Elle hésite à appeler Michel… non, rien ne sert de l’affoler.

Sur ce, une soirée DVD grand classique s’impose. Après « la Grande vadrouille » et « La vie est un long fleuve tranquille » et malgré l’angoisse, elle parvient à s’endormir, à son grand étonnement.

Un réveil un peu difficile après une nuit entrecoupée de bouffée de chaleur la pousse tout droit sous la douche. Elle n’a pas faim elle ne mangera pas ce matin. Elle réfléchit au programme de la journée et c’est en ouvrant le journal qu’elle découvre son emploi du temps « premier jour des soldes ».

En guise de sac à main, un cabas, dernier cadeau fidélité Yves Rocher. A une vitesse surprenante le cabas s’emplit de vert, de rouge, de jaune ! Béatrice essaie d’oublier l’incident d’hier mais rien n’y fait. Même le plus grand de ses réconforts, la dépense, ne suffit pas à rendre son esprit serein. « Tant pis, je rentre et puis ce soir je retrouve mon « Termi » ! » se réconforte-t-elle ! « Termi » alias Terminator le chihuahua. Béatrice et cette petite bête ont quatre ans de vie commune. En vacances avec sa sœur à Montpellier il revient ce soir à la grande satisfaction de sa maîtresse. Elle rentre essoufflée chez elle.

Dix-neuf heures trente. Béatrice entend dans les escaliers les petites griffes de Terminator, son visage soucieux s’efface et laisse place à un large sourire. Après une belle soirée de retrouvailles, les inséparables se couchent respectivement dans leurs « lits ».

Neuf heures trente. Béatrice, comme tous les dimanches matin de beau temps, part faire son footing au Parc Kellermann accompagnée de Terminator le chihuahua. Le soleil donne ; Béa et Termi arborent tout deux une casquette. Une fois passée la grande grille du parc, « C'est parti mon Termi, on y va ! », ils s’élancent dans la course d’un pas affirmé. Le parc est anormalement vide.

Le vibreur fait trembler la peau un peu trop flasque de sa jambe. Elle s’arrête et décroche « Tiens c’est Marielle. Allô, qu’est-ce qui se passe ma belle ? » Son amie a la voix un peu tremblante ; elle lui donne rendez-vous près du terrain de tennis. « Tu es sûre que tout va bien ? » Béa est inquiète. Terminator dans les bras, elle part un peu affolée. C’est avec stupeur qu’elle découvre Marielle étendue derrière une haie, la main sur le ventre ; elle se précipite sur le corps ensanglanté. Elle lit sur les lèvres de son amie « Pars vite ». Evidemment, elle refuse et l’assaille de questions. Mais c’est malheureusement trop tard. Béatrice, le cœur battant, sent une main se coller à sa bouche ; elle essaie de se débattre et reconnait là le bras de son ex-mari. Tout de suite, elle se crispe et ne peut plus émettre un son. En effet, cet être devenu glacial et violent l’aurait rendue folle si elle ne s’en était pas séparé. Il la saisit et la transporte sur ses épaules en lui disant de ne pas essayer de s’enfuir.

Après être passée à travers les buissons, elle se retrouve dans le coffre de sa propre voiture. Le moteur démarre et Béatrice tremble ; elle essaie d’ouvrir le coffre de l’intérieur mais rien n’y fait. La Mercedes s’arrête. Dans un excès de violence, son ex-mari sort le corps apeuré et lui bande les yeux en serrant trop fort un foulard de soie rouge. « Tu vas l’aimer ta surprise ma chérie ! » Mon dieu, Béatrice se sent mal et ses jambes ne la soutiennent plus.

Elle arrive dans un lieu chaud où la lumière semble être forte puis l’homme qui n’est apparemment pas dans son état normal, lui retire le foulard. Béatrice n’en croit pas ses yeux elle se retrouve dans une salle entièrement rose remplie de jouets en tous genres : en quelque sorte, un vrai paradis pour enfants. Elle ne sait pas ce qu’elle doit faire ; elle voit bien que son ex a l’air encore moins bien qu’à l’accoutumée, comme s’il était possédé. Puis elle s’inquiète pour Marielle : pourvu que quelqu’un l’ait secourue ! Elle opte pour un « Oh ! mais quelle surprise ! J’ai toujours rêvé d’une si belle salle de jeu ! » A peine a-t-elle fini sa phrase qu’elle se retrouve la tempe plaquée contre une maison de poupée qui se trouvait là : elle saigne et se met à pleurer. Elle panique, elle se débat et finit sur le sol, en boule. De mauvais souvenirs qui n’ont pas besoin d’être ressassés. « Tu es bien ici ? hein ? Donc tu ne me quitteras plus ? » dit-il en fermant la porte à double tour. Béatrice a très peu de temps pour trouver une solution. Elle voudrait savoir où elle est pour essayer d’appeler la police ; elle sait qu’elle est en grand danger.

Dans un coin de mur, un bout de tapisserie semble se décoller elle tire un peu et reconnaît la tapisserie de son ancien salon, celui de sa maison commune, jadis, avec son mari. Il a tout modifié les portes, les poignées… Il faut qu’elle téléphone mais rien dans sa poche ; son portable a dû tomber au parc. Elle se souvient alors que lors d’une scène de violences avec son ex-mari, elle s’était cachée dans le faux grenier au-dessus du salon : ce faux grenier donnait aussi dans le bureau où elle espère qu’il y a toujours de quoi appeler. Le temps presse. Elle arrache en sanglotant la tapisserie du plafond et retrouve la trappe ; elle se hisse sur la maison de poupée et entre dans le faux grenier ; elle ne voit rien mais, à tâtons, elle trouve l’issue qui conduit au bureau. Bonne surprise, le téléphone semble être en ligne. Sans plus attendre, elle appelle la police et lui demande de se dépêcher, elle a peur et sent que sa vie est en danger.

Aussi vite que possible, elle rejoint ensuite son « paradis » d’enfant. Aussitôt elle entend les pas qui la répugnent dans l’escalier. Mais impossible de recoller la tapisserie, elle tremble de plus belle. La porte s’ouvre et les yeux de l’homme violent se fixent sur la trappe encore entrouverte. Son corps se crispe et son visage change de couleurs. Dans un élan de folie, il saute sur Béa en criant : « Tu as essayé de partir ? Tu n’aurais pas dû ! Tu vas être punie ! ». Elle se débat alors qu’il empoigne un ours en peluche et essaie de le lui introduire dans la bouche. Soudain, tout s’arrête. Trois policiers armés sautent sur l’homme en furie.

Béatrice est raccompagnée par le sergent Duvel qui lui conseille de se reposer ce soir sans s’inquiéter : son ex-mari sera de nouveau interné. En effet, elle ignorait que suite à de nombreux excès de violence, il avait été placé dans un hôpital psychiatrique et s’en était échappé il y a trois semaines. Le sergent Duvel lui apprend aussi que son amie Marielle est saine et sauve : Terminator, laissé près d’elle, a donné l’alerte ! Elle remercie chaleureusement le sergent pour toutes ces bonnes nouvelles et celui-ci lui donne rendez-vous le lendemain au commissariat pour déposer plainte. Rassurée, mais surtout épuisée, elle prend l’ascenseur, arrive au sixième étage et sur sa porte découvre ce mot « Tu m’appartiens à vie. »
AH
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