Le téléphone sonne, Béatrice décroche, c’est le drame. Elle vient d’apprendre le décès de sa mère, Olivia, une femme de soixante-quatorze ans, décédée suite à un cancer du poumon décelé trop tard. A ce moment-là, la vie s’arrête, on repense à tous les souvenirs d’enfances, heureux, malheureux enfouis au plus profond de soi et qu’on cherche à oublier ou au contraire à conserver.
Durant l’enterrement de sa mère, Béatrice fut silencieuse, elle avait souhaité que les obsèques de sa mère soient religieuses et seulement entourées de la famille proche. La cérémonie fut longue et douloureuse pour celle-ci qui passait beaucoup de temps en compagnie de sa mère.
Béatrice et sa mère avaient quitté l’Allemagne en 1970 suite au divorce de ses parents, elle n’avait alors que douze ans, depuis ce temps, elles avaient toujours vécu ensemble dans le seizième arrondissement de Paris.
Pendant les funérailles, Béatrice rencontra un homme d’environ soixante-quinze ans qui lui avoua qu’il était son père. Béatrice fut émue et en même temps en colère de revoir un père qui n’avait jamais été là pour elle dans les moment les plus difficiles de sa vie. Mais cette rencontre lui permettait aussi de renouer des liens avec sa seule famille. Elle invita donc le vieil homme à passer chez elle pour discuter.
Ils restèrent longtemps ensemble, son père lui fit part de son projet de rester en France. Le seul souci à cela c’est qu’il n’avait nulle part où aller, Béatrice se proposa donc de l’héberger quelques temps afin de qu’il puisse trouver un logement.
Les semaines passèrent et le vieil homme ne trouvait toujours pas de maison. Béatrice commençait à s’alarmer, surtout que la santé de son père devenait inquiétante, il se plaignait de douleurs dans ses articulations et d’angoisser quand il était seul. Face au désespoir de son père, Béatrice ne pouvait pas se résoudre à le chasser de chez elle.
Cela faisait maintenant quatre mois qu’il vivait chez sa fille. Il côtoyait ses amis, il organisait des soirées de scrabble dans son appartement sans la prévenir, bref, il devenait vraiment envahissant.
 
Béatrice avait essayé à plusieurs reprises de lui chercher des maisons, des appartements, des studios mais rien ne lui plaisait, il trouvait ça trop petit, trop grand, trop sombre, trop lumineux bref, ça n’allait jamais. Il avait même refait la décoration de son appartement car elle n’était point à son goût. Même l’amant de Béatrice ne pouvait plus la voir car elle était beaucoup trop occupée par son père.
Ses amies de bureau la soutenaient moralement. Elles avaient même eu une idée qui allait peut être décider son père à partir de chez elle enfin, lui faire regretter d’être chez elle.
 
Le soir même, Béatrice invita chez elle une dizaine de ses copines qui étaient complices et qui mettaient mal à l’aise le vieil homme : en parlant fort, en buvant beaucoup d’alcool, en fumant près de lui… Le lendemain, le grand-père alla se plaindre auprès de sa fille en lui reprochant qu’il n’avait pas pu fermer l’œil de la nuit.
 
La semaine suivante, Béatrice oublia malencontreusement de laver les vêtements de son père et d’aller lui chercher ses costumes chez le teinturier. Pendant cette même semaine, Béatrice n’avait pas acheté les yaourts aux bifidus que son père aimait tant. Tout cela commençait à énerver le vieil homme qui râlait sans cesse auprès de sa fille, la tactique de Béatrice faisait son effet.
 
Elle continuait à inviter des amis chez elle à des heures indécentes, elle oubliait encore et toujours de laver les vêtements de son père et d’acheter ses petits plats fétiches.
Mais le vieil homme était tenace et ne voulait pas quitter son havre de paix pour se retrouver seul dans un appartement plus petit où il n’aurait plus sa fille pour répondre à ses attentes.
Un mois plus tard, le père de Béatrice vivait toujours chez sa fille, il n’avait pas l’air décidé à quitter ce logement fort agréable. Mais celle-ci s’inquiétait, elle avait tout essayé, vraiment tout, par exemple mettre des chaussettes malodorantes sous son lit, en passant par les repas servis froids, ou encore faire un vacarme infernal en se réveillant très tôt le matin.
Finalement, après presque six mois d’une lutte acharnée, Béatrice sortie vainqueur de ce duel, les conditions de vie du vieil homme ne lui plaisaient plus. Et bien sûr, pour conserver son orgueil, il décida de partir de son propre chef en prétendant qu’il devait laisser sa fille s’épanouir et voler de ses propres ailes.
AW
2008 Ecrire avec, lire pour © Droits réservés
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