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Lavoisier
Lavoisier

A bout !

(B.M. = Béatrice Merkel)

Scène 1

Plan 1
Lieu : devant chez B., dans sa voiture, dans la rue
Voix off : (en même temps que les images)

Béatrice Merkel vit un quotidien très actif. Elle travaille depuis quinze ans dans la même société. Elle est très appréciée de ses collègues. Grâce à son implication dans son travail, elle a pu gravir les échelons et devenir conseillère clientèle alors qu’elle était rentrée comme guichetière. Mais depuis quelques temps, à la banque on a pu constater sa fatigue et son humeur fracassante dans son travail, qui jusqu’à ce jour était irréprochable. On a pu constater certaines négligences et même quelques plaintes de clients.

Images :
On suit B.M. qui sort de chez elle, les mains remplies de papiers. Elle rentre dans sa voiture mais elle ne démarre pas, on entend les bruits du moteur. Elle sort et se met à courir pour aller au travail.


Plan 2
Lieu : à la banque
Voix off : (en même temps que les images)

Aujourd’hui, B a un rendez-vous avec un client qui s’appelle monsieur Barnabé.

Images :
B.M. rentre dans la banque toute essoufflée.



Plan 3
Lieu : à la banque, dans un couloir.

Images :
Elle dit bonjour à un homme.

Dialogue :
B. : Bonjour, vous êtes ?
L’homme : Bonjour, je suis monsieur Barnabé.
B. : Ah, oui. Venez, suivez-moi dans mon bureau.


Plan 4
Lieu : dans le bureau de Béatrice.

Images :
On voit B avec son client dans son bureau.

Voix off :
Lors de l’entretien, B n’a pas pu répondre aux attentes de son client comme à l’habitude. Celui-ci, a besoin de faire une transaction financière importante.


Plan 5
Lieu : dans le bureau de Béatrice.

Images :
B. qui parle à son client.

Dialogue :
B. : Désolée Monsieur Barnabé. Je ne peux pas faire cette transaction car elle me semble trop risquée.


Plan 6
Lieu : dans le bureau de Béatrice.

Images :
B allume son PC. Un message apparaît. Texte écrit : Mme Merkel, vous êtes convoquée dans mon bureau. M. le directeur.



Scène 2
Plan 1
Lieu : devant la porte du directeur.

Images :
B se rend dans le bureau de monsieur Martin. Sur la porte, il est écrit en lettre capitale : Directeur. En-dessous il y a monsieur Martin. Elle hésite, tend sa main et la ramène vers elle. Tremblante, elle frappe à la porte.

Dialogue :
Le directeur : Entrez !


Plan 2
Lieu : dans le bureau du directeur.

Images :
B pénètre dans la pièce, salue ce dernier d‘une main toujours tremblante. Elle avale sa salive.

Dialogue :
Le directeur : j’ai reçu une plainte de client ce matin. Il m'a dit que vous n’aviez pas l’air très intéressée par son problème.

Images :
B. reste bouche bée.

Dialogue :
M. Martin : je devrais sévir pour ce genre de plainte mais ce n’est que la première fois que j’ai des échos négatifs sur vous. Attention à la prochaine fois !



Scène 3

Plan 1
Lieu : dans le hall de la banque.

Voix off :
B n’a pas su prendre le dessus, elle accumule les erreurs et même l’ambiance avec ses collègues se dégrade de jour en jour.
Un mardi matin, monsieur Barnabé entre dans la banque.

Images :
B surgit de son bureau, va à sa rencontre. Josiane, une employée de la banque rejoint le duo afin de calmer les esprits.
C’est alors qu’arrive le directeur. Ayant entendu le vacarme, il avait accouru. Surpris de voir B dans cet état, il s’arrête et d’une voix grave lui dit…

Dialogue :
Le directeur : Rejoignez moi directement dans mon bureau.


Plan 2
Lieu : dans le hall de la banque.

Images :
Josiane va s’occuper du client. Quelques minutes plus tard, B ressort du bureau de monsieur Martin avec un teint blanc et des larmes aux yeux. Elle croisa Josiane.

Dialogue :
B. : Le patron m'a donné un blâme et trois jours de mise à pied.
Josiane : Ah…

Images :
B. passe devant Josiane et va dans son bureau.



Scène 4

Plan 1
Lieu : chez elle, dans son salon.

Voix off :
Durant les trois jours, le temps est long. B se remet en question et pense avoir mis sa vie professionnelle en l’air.
Étant toujours au travail normalement elle ne sait quoi faire chez elle

Images :
B. s’ennuie, tourne en rond et essaye de penser à autre chose que son travail.


Plan 2
Lieu : chez elle, dans son salon, au téléphone.

Voix off :
À force de ne rien faire B se sent mal, elle stresse, elle s’angoisse pour rien. Le deuxième jour elle décide de faire quelque chose.

Images :
B. tape un numéro sur le téléphone.

Dialogue :
B. : Bonjour, j’aimerais prendre un rendez-vous avec le psychologue.
La secrétaire : Oui, pour quand ?
B. : Le plus tôt possible s’il vous plait.
La secrétaire : Alors, j’ai dans une semaine… ah, une place vient de se libérer aujourd’hui pour 17h15 ? Elle vous intéresse ?
B. : Parfait, merci. A ce soir.



Scène 5
Lieu : dans le bureau du psychologue.

Voix off :
Le médecin lui pose une multitude de questions sur son enfance, ses parents, son passé, sa vie de maintenant. B lui répond sérieusement. À la fin de la séance le médecin conclut qu’il y avait un manque qui se ressent dans les réponses de B.

Images :
B. écoute les questions. À la fin, elle serre la main du médecin et rentre chez elle.

Voix off :
Rentrée chez elle, B reste surprise de cette révélation. Elle n’a jamais éprouvé une solitude dans sa vie. Que peut-il lui manquer ?

Images :
Elle s’avachit sur son canapé. Au bout d’un moment, elle se lève et va sur son ordinateur.

Voix off :
Elle essaye de chercher sur internet ce qui pouvait produire un manque chez une femme. Elle remarqua que deux choses revenaient systématiquement : enfant et mari.

Images :
La caméra zoom sur l’écran. La page est rose et il y a marqué en gras « bébé » et « mari » dans le texte.

Voix off :
Elle se rappelle alors, lorsqu’elle était encore avec son mari. Elle était bien. Mais rien que de penser à comment cette histoire s’était terminée, elle fait la grimace comme si un goût amer lui restait dans la bouche.

Images :
Lorsqu’elle se rappelle de son histoire avec son mari elle fait la grimace et essaye de se faire passer le goût qu’elle a dans la bouche.



Scène 6
Lieu : dans le bureau du psychologue.

Voix off :
Les trois jours terminés, elle retourne travailler. Elle va un peu mieux mais sans plus pour elle. Elle retourne chez le psychologue.
Le médecin lui confirme qu’elle a vraiment besoin de compagnie à qui elle pourrait se confier. B lui raconte son passé amoureux qui ne fut pas très joyeux. Elle lui dit qu’elle aurait bien aimé avoir un enfant mais qu’à cause de l’âge, il serait difficile de l’élever dans de bonnes conditions.

Images :
On voit le médecin qui lui explique qu’il serait difficile d’avoir un enfant, il fait des gestes avec ses mains et avoir l’air triste pour B.



Scène 7
Plan 1
Lieu : dans la rue.

Voix off :
B. pense alors à essayer de faire des rencontres. Elle regarde dans la rue mais aucun de tous ces hommes qui se promènent ne l’attire vraiment.

Images :
B. est dans la rue. Elle regarde les hommes autour d’elle et des fois, elle fait une petite grimace pour montrer son dégoût.


Plan 2
Lieu : chez B. dans son salon.

Images :
B. est chez elle. Elle allume son PC et va sur internet. Elle tape « site de rencontres ». Elle sourit en pensant à ce qu’elle fait mais elle s’inscrit sur le site et va parler avec d’autres tchateurs.

Voix off :
B. ne pense vraiment pas trouver quelqu’un sur ce site. Elle fait la connaissance de plusieurs hommes plutôt sympathiques. B parle souvent avec eux sur le chat.


Plan 3
Lieu : pause café à la banque.

Voix off :
Ses collègues la voient de nouveau souriante au travail.

Images :
Lors d’une pose café, le patron rejoint les collègues de B. pour savoir ce qui se passe.

Dialogue :
Le directeur : Elle a l’air d’aller Béatrice ?
Une employée : Oui, depuis qu’elle a été voir un psy !
Le directeur : Un psy ?

Images :
Le directeur n’attend pas la réponse et part.



Scène 8
Lieu : chez B. devant son ordinateur.

Voix off :
Les jours passent, même les semaines. B. a fait plusieurs rencontres. Un homme a retenu son attention. Il est dans le même cas qu’elle, divorcé, sans enfant et en manque de compagnie.
Ce dernier veut la rencontrer. B avait refusé sa première demande mais accepte la seconde. Il l’invite donc dans un restaurant plutôt chic la semaine suivante.

Images :
Il y a un gros plan de l’écran sur la discussion de B. avec une autre personne.



Scène 9
Plan 1
Lieu : au restaurant.

Voix off :
B. arrive un peu avant l’heure du rendez-vous.

Images :
Elle rentre dans le restaurant. Un serveur vient la voir.

Dialogues :
B. : Bonsoir, j’ai une table réservée au nom de monsieur Patrick, Charles Patrick.
Le serveur : Oui, venez, je vous accompagne.

Voix off :
Le restaurant était beau, grand et chic. B. est conquise par ce qu’elle voit.

Dialogue :
B. à elle même : ça va être une bonne soirée !


Plan 2
Lieu : à sa table au restaurant.

Images :
B. arrive à sa table. Elle remarque quelque chose qui y est déposé dessus.

Dialogue :
Le serveur : il y a un homme qui est passé environ quinze minutes avant vous, il vous a laissé ce paquet.
B. : Merci beaucoup monsieur.

Images :
B. s’assoit et prend le paquet. Un mot y est accroché.

Dialogue :
B. à elle-même, tout bas : … peux plus venir… désolé… hein ?

Images :
B. semble surprise par ce que demande ce dernier, elle part en emmenant le petit paquet.



Scène 10
Plan 1
Lieu : à sa table au restaurant.

Images :
B. monte dans sa voiture et regarde sur une carte l’adresse que lui a indiquée son ami. Elle s’y rend en peu de temps. Arrivée là-bas, des hommes habillés tout en noir se promènent dans les rues. Elle commence à avoir peur. Pourquoi tant de monde dans les rues à une heure pareille. B continue à avancer. Elle part donc mais se fait rattraper par un homme. Elle ouvre la fenêtre de sa voiture.

Dialogue :
L’homme sur un ton méchant : Donnez moi le paquet.
B. : Et pourquoi donc je vous le donnerais ? Je ne vous connais pas.
L’homme : c’est pour moi ce paquet, Patrick s’est défilé, il a eu trop peur. Il ne vous aime pas et ne voulait pas vous rencontrer, il s’est juste servi de vous.

Images :
B. reste bouche bée mais lui donne sans rien dire et part.


Plan 2
Lieu : chez B, dans son salon.

Voix off :
B. rentre chez elle, toute retournée. Elle va sur son PC et se désinscrit directement du site de rencontres. Elle se dit qu’elle n’a pas forcément besoin d’un homme pour être heureuse et que ce n’est pas sur internet qu’elle le trouvera.

OB
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Un ravioli pour deux

Cette nouvelle a été sélectionnée par la classe de première L - cinéma et audiovisuel - du Lycée Lavoisier à Mayenne (53), pour concourir pour une lecture publique en janvier prochain dans le cadre du Festival Premiers Plans à Angers.

Une Audi rouge file sur l’autoroute. Une femme est au volant, elle porte un chemisier écru, une rose rouge sertie de diamants souligne son décolleté. Une légère couche de fond de teint à peine perceptible lui adoucit le visage. Cette femme a les lèvres rouges, les yeux discrètement soulignés de noir, les cheveux blonds tirés en arrière et attachés par une barrette en argent. Une fine montre au bracelet de cuir rouge orne son poignet. Ses ongles vernis de carmin mettent en valeur des mains bronzées. L’intérieur de la voiture parait très propre ; les sièges en cuir gris uni sont recouverts partiellement d'une housse gris clair. Un violoncelle dans une housse noir est couché sur les sièges arrière. Il y a sur le tableau de bord une lettre pliée sur une enveloppe ouverte ; sur la partie visible de la lettre on peut lire :

Du "Théâtre des cinq diamants"
10, rue des cinq diamants
75013 Paris

A l'attention de Béatrice Merkel
15, rue Rubens
75013 Paris

Objet : concert de violoncelle du 07/09/08


Une seule main sur le volant, accoudée à la vitre, Béatrice Merkel accompagne de la voix une sonate pour violoncelle que la radio diffuse faiblement dans la voiture. Elle jette un regard à sa montre, son visage reste neutre avec un léger sourire aux lèvres, l’air apaisé. Elle lève les yeux sur un panneau indiquant "Paris 40". Un peu plus tard, apercevant une indication "péage 1.500 m", Béatrice se penche et plonge la main dans son sac en cuir rouge posé au pied du siège passager. Lorsqu’elle relève la tête, une carte bancaire à la main, son visage se crispe en distinguant les forts ralentissements, là-bas au péage. Elle inspire fortement en tournant la tête et remarque que le paysage défile nettement moins vite, puis s’immobilise : ça y est, elle est dans l’embouteillage. La faible voix de l’animateur radio annonce que le précédant morceau était interprété par le violoncelliste Pablo Casal. La conductrice tend l’oreille et augmente le son.

Une voix annonce alors : « Bonsoir, il est vingt-et-une heures et douze minutes, voici un bref bilan de la circulation de ce dimanche soir. Les retours de week-end s’annoncent difficiles, et de nombreuses autoroutes sont classées oranges. En particulier l’A11 en direction de Paris, où un gros bouchon s’est formé au péage de Saint-Arnoult. Il s’étend sur trois kilomètres et risque d’être… » Après s’être brusquement redressée, Béatrice éteint violemment la radio en poussant un grand soupir. C’est alors que quelques voitures redémarrent. En regardant à droite, à gauche, devant, à plusieurs reprises, Béatrice Merkel voit que seule sa file reste immobile. Elle cherche à apercevoir la cause du ralentissement : se penche sur sa droite et remarque que seule la voiture devant elle est bloquée, les autres, plus loin sur sa file avancent, doucement mais sûrement. Etonnée, elle fronce les sourcils et regarde cette 4L qui ne roule pas. Un geste de la main accompagne alors un regard excédé vers la coupable. Soupir. Les yeux au ciel, elle murmure « Oh c’est pas possible ! », soupir plus fort, lâche un « Rrrrrr », encore un soupir et klaxonne brusquement avec un « Oh ? » réprobateur. Sous le regard inquisiteur de la conductrice, la porte de la 4L s’ouvre. L’air méfiant de Béatrice disparaît aussitôt qu’elle voit une tong sortir de la voiture, suivie d’une jambe bronzée, d’un short hawaïen vert à fleurs jaunes et bleues, d’un tee-shirt rouge, lunettes de soleil et dreads locks. Le tout appartient à un jeune homme manifestement décontracté, qui fait la moue. Béatrice Merkel lève les yeux au ciel et soupire de nouveau. Le jeune homme se met à pousser sa voiture, une main sur le volant et l’autre sur le montant du pare-brise. Béatrice se met la tête entre les bras sur son volant en lâchant un « Aarrrf ! » de désespoir. Lorsqu’elle relève la tête, elle voit, sans paraître surprise, que le garçon pousse toujours, mais que sa voiture n’avance que trop lentement. Elle pose son coude sur sa vitre, lâche son volant et semble attendre. Au bout de quelques secondes, elle se redresse et jette un regard interrogateur à gauche, sur la voiture qui passe à ses côtés, où deux hommes en costume cravate discutent. Elle fronce les sourcils, tourne la tête de l’autre côté et regarde avec stupeur, les yeux écarquillés, la voiture de droite, où cinq jeunes s’amusent, rient, s’esclaffent, sauf le conducteur qui a l’air contrarié et fixe le péage au loin. Elle observe ensuite la voiture qui roule derrière les jeunes en question, et contemple, l’air complètement ahuri, les yeux très grands ouverts, un homme et une femme qui ne parlent pas mais regardent la 4L arrêtée, que le jeune homme tente toujours de faire avancer. Le couple avance sans réagir. Alors, complètement excédée, Béatrice Merkel détache sa ceinture, sort de sa voiture et va vers celle du garçon d’un pas décidé. Elle se met au niveau de la portière avant droite de la 4L et pousse. La voiture avance alors beaucoup mieux. Le garçon lève la tête et voit cette femme qui l’aide à pousser :

- Oh merci madame !

En continuant de pousser, Béatrice rétorque sèchement, sans le regarder :

- Les gens ne se bougeraient même pas ! Non mais c’est fou ça ! C’est aux femmes seules de porter secours maintenant ! Dans quel monde vit-on ?

Lui, poussant toujours, la regarde et répond :

- C’est vrai… merci, vraiment c’est très gentil de votre part.

Elle lui jette un regard exaspéré et rétorque :

- Si j’avais le choix, croyez bien que je ne serais pas là !

Puis, sans un mot, ils poussent la voiture, franchissent le péage et vont se garer sur le bas-côté, n’ayant que la voie de droite à traverser et la positionnent sur la bande d’arrêt d’urgence. Pendant ce temps, quelques klaxons se font entendre. Ils deviennent nombreux, et Béatrice émet un « Rrrr » agacé en regardant sa voiture qui bloque maintenant toute la file. Elle part alors en courant vers le véhicule alors que le jeune homme commence à la remercier. Il formule un « Attendez prenez au moins… » mais elle est déjà près de l'Audi, ouvre la portière et s'installe en vitesse. Béatrice desserre le frein à main et rejoint la voiture à quatre cents mètres en avant. Le péage n’est plus qu’à cent mètres environ, mais les voitures avancent toujours assez lentement. Quelques secondes plus tard Béatrice sursaute, le jeune homme est penché à sa fenêtre ; elle hésite un instant puis baisse la vitre. Le garçon lui tend alors une énorme boite de conserve et explique :

- Je voudrais vous remercier pour votre aide, je reviens de colo alors j’en ai un gros stock, prenez-la, je n’ai que ça.

Béatrice Merkel la prend en soupirant et la pose sur le siège passager sans même la regarder. Toujours énervée, elle rétorque sèchement :

- Merci au revoir !

Elle ferme la vitre tout en gardant les yeux fixés sur la voiture devant elle. Le jeune homme s’éloigne alors. L’Audi rouge avance un peu. Béatrice Merkel jette un œil sur sa montre d’un geste vif, relève la tête, regarde devant elle, fronce les sourcils et rebaisse les yeux sur sa montre, ouvre la bouche, attrape la lettre sur le tableau de bord, l’ouvre et laisse échapper un « Et… merde ! » en levant les yeux au ciel. Alors qu’elle n’est plus qu’à quelques mètres du péage, son moteur gronde légèrement. De la fumée blanche sort soudain du capot, la voiture "toussote" puis, très rapidement, la fumée s’estompe et la voiture cale définitivement. Béatrice laisse échapper un : « Non mais c’est pas vrai ! », sous les klaxons qui reprennent de plus belle. Elle inspire à fond en fermant les yeux, puis tente de redémarrer. Elle n’y parvient pas, réessaye sans succès. Elle respire profondément, tourne la tête, voit alors la boite de conserve sur le siège passager et sourit : il y est écrit "Raviolis 5 kg". Elle sort de sa voiture et commence à la pousser. Celle-ci ne bouge presque pas. Béatrice se tourne alors vers la centaine de voitures derrière elle, les regarde, et attend les bras croisés. Bien sûr personne ne vient l’aider. Béatrice lève les bras au ciel, se retourne vivement, plonge la tête dans l’habitacle, attrape son sac, ressort, claque la portière. Debout près de son véhicule, elle regarde en direction de l’air de repos juste après le péage : des toilettes, un parking et des tables en bois. Elle aperçoit le propriétaire de la 4L assis sur une table de pique-nique, seul. Elle se dirige rapidement vers l’air de repos, traverse en courant l’autoroute, slalome entre les voitures immobiles, sous un vacarme de klaxons.

Une fois près du garçon qui la regarde s’approcher, elle s’assied en face de lui et le regarde aussi. Simultanément ils prononcent :

- Excuse-moi.

- J’suis désolé.

Apres un instant de silence, ils se mettent à rire. Puis, il lui demande l’air intrigué :

- Mais où est…vous êtes arrivée de l’autoroute à pied alors, où est votre voiture ?

- Et bien le moteur a chauffé, j’ai calé, j’ai essayé de la pousser jusqu’au bord de la chaussée, je n’y arrivais pas, et bien entendu personne n’est venu m’aider !

Il secoue la tête en levant les yeux au ciel et finit par lui sourire. Elle esquisse à son tour un sourire discret. La nuit commence à tomber, le silence s’installe autour de la table de pique-nique où les rescapés restent perdus dans leurs pensées respectives, les yeux dans le vague. Les lampadaires de la station s’allument. La dernière voiture de l’aire de repos s’éloigne, il ne reste plus que le bruit de celles qui roulent sur l’autoroute. Béatrice se tourne vers le jeune homme et demande :

- Quelqu’un vient vous dépanner ?

- Oui j’ai un ami mécano qui va arriver vers onze heures, je préfère faire appel à un ami plutôt qu’à une entreprise payante, longue et pas toujours performante…

- Hum… tu penses qu’il pourra jeter un œil sur ma voiture parce que je…

- Oh oui oui, bien sûr, il est très sympa, je lui demanderai… Je vous dois bien ça.

- Merci.

Mais alors qu’ils discutent de leurs problèmes respectifs de voiture, en plus de la nuit, la pluie se met à tomber. En quelques secondes, la pluie devient très forte. Béatrice se lève rapidement suivie du jeune homme.

- Là-bas, regardez, dit-il, il y a une table abritée, on peut y aller en attendant mon ami, il ne fait pas froid et la pluie passera.

Il suit Béatrice qui court déjà vers l’abri. Quelques secondes plus tard, ils arrivent à la table sous le toit en bois, tous les deux trempés, dégoulinants. Ils s’assoient et Béatrice sort de son sac un petit miroir dans lequel elle se regarde pour essuyer le noir qui coule sur ses joues.

- Quel temps !

- Au point où on en est…

- C’est vrai.


Ils attendent en silence. Soudain Béatrice se lève et s’exclame apeurée : « Mes clefs ! ». Elle part en courant sous la pluie battante, vers le péage, sous le regard étonné du garçon. En passant près du péage, elle entend crier :

- Hey madame !

- Oui ? répondit-elle en se retournant.

- C’est bien votre voiture qui bloquait la circulation ?

- Heu… oui

- Nous l’avons déplacée là-bas pendant que vous étiez partie, téléphoner je suppose.
Faut pas laisser son véhicule sur la voie madame, c’est très dangereux !

- Ah merci beaucoup monsieur, au revoir, crie t-elle en reprenant sa course vers la bande d’arrêt d’urgence, sous la pluie battante.


Arrivée à sa voiture, Béatrice ouvre la portière, plonge à l’intérieur puis la referme. Elle vérifie que les clefs sont toujours là, jette un œil dans la boite à gants, se retourne plus doucement et regarde les sièges arrières. Elle soupire alors de soulagement. Elle reste un instant immobile, puis regarde sa montre et attrape la grosse boite de raviolis. Béatrice ressort alors de la voiture, claque la portière et repart en marchant, vers l’aire de repos, les cinq kilos de raviolis dans les bras. Une fois près du garçon à la table de pique-nique, complètement trempée, elle pose la boite sur la table et s’assied face au jeune homme.

- J’ai pensé qu’en attendant ton ami, nous pourrions manger un peu, il est dix heures et demie, je commence à avoir faim.

- C’est une très bonne idée, je meurs de faim.

- …

- Mais… avec quoi pouvons-nous l’ouvrir ?

- Oh non… je n’y avais pas pensé, je n’ai rien de tranchant.

- J’ai un canif, mais je ne pense pas que ce soit très utile, attendez…, j’essaie quand même.


Le garçon sort le canif de sa poche, l’ouvre et essaie sans succès de l’introduire dans le couvercle. Béatrice se lève, va chercher un caillou et revient, saisit la boîte enfonce d’un coup précis le couteau et commence à découper une ouverture. Elle finit son travail et brandit victorieusement un ravioli au bout de sa lame et l’offre au garçon qui sourit. Ils continuent leur repas. Le temps passe. Il pleut toujours ; sous l'auvent le jeune homme pose sa veste sur les épaules de Béatrice. Quelques voitures passent de temps en temps. Soudain, une voiture s’arrête devant eux. Un homme en descend, s’approche et adresse la parole au couple :

- Et alors, qu’est ce qu’il t’arrive ?

- Je sais pas, j’ai calé dans la file avant le péage et elle a jamais voulu redémarrer

- Bon ben… je vais te pousser.

Les jeunes hommes s’éloignent vers la voiture

- Mets-toi en seconde.


Le jeune homme prend place derrière son volant, claque la portière, baisse la vitre. Son ami commence à pousser. La voiture se met à avancer. L’ami court de plus en plus vite derrière la 4L qui prend de la vitesse, tousse et finit par démarrer. Elle s’éloigne dans la nuit. L’ami revient vers sa voiture saute au volant, part dans la même direction et disparaît à son tour.


Béatrice Merkel se retrouve seule. Elle se lève, fait quelques pas ; la pluie continue à tomber. Elle revient se mettre à l’abri, regarde au loin, soupire, se rassoit. Les voitures se font rares. La jeune femme s’est affalée dans un coin de l’abri, recroquevillée, les bras autour des genoux. Ses cheveux pendent lamentablement le long de son visage, elle frissonne, seule.


Soudain retentit un long mugissement de camion ; une camionnette de dépannage surgit. A son bord, penché à la fenêtre, un homme gesticule et hurle pour couvrir le bruit du moteur :

- Hou hou ; c’est moi… je suis revenu… Madame ? Madame ? Vous êtes là ?

Il saute du véhicule et court hilare vers la jeune femme qui se jette dans ses bras…



NG
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Paris

Elle était à son bureau depuis le début de l'après-midi. Elle avait pu y voir défiler une vingtaine de clients, qui étaient tous venus pour la même chose, espérant qu'elle leur accorderait le crédit qu'ils convoitaient tant. Son patron était même venu lui rappeler de suivre les objectifs commerciaux qu'il lui avait fixés et exigeait qu’elle les réalise dans le mois où son poste serait en danger.

Maintenant, les yeux rivés sur l'horloge, accrochée au mur devant elle, qui indique à peu près dix-huit heures, elle tripote un de ses crayons de façon extrêmement mécanique et nerveuse, le geste s'amplifie de plus en plus jusqu'à ce que les aiguilles atteignent exactement dix-huit heures. Là, elle saisit de tout hâte les affaires qui lui appartiennent, un trench-coat beige et un sac assorti. Elle prend le couloir attenant à son bureau tout en se dépêchant. Elle ne porte aucune attention aux gens qui l'entourent, ses collègues lui souhaitent une bonne soirée, les clients qui la croisent, la saluent, et n’optiennent aucune réponse de sa part, ni même un geste.

Une fois arrivée à l'extérieur, elle s'arrête, se retourne vers la banque et regarde ses collègues continuant à travailler, elle pousse un léger soupir et l'on peut apercevoir, dans le reflet de la vitre, un infime sourire revenir sur son visage, un visage extrêmement doux malgré quelques rides.

Puis elle choisit une direction à suivre et flâne dans les rues, jusqu'à se rendre dans la quartier de la Butte aux Cailles, qui est un quartier possédant un cachet digne de carte postale avec ses nombreux cafés et restaurants et une très belle architecture, avec son église Sainte-Anne.

Lors de cette marche, elle aperçoit une voiture qui lui ôte son léger sourire, elle la replonge dans ses souvenirs, une journée où son ex-mari comme à son habitude s'occupait de sa voiture, ils avaient eu une dispute violente lors de laquelle elle lui avait reproché de ne pas avoir voulu d'enfant et de porter plus d'attention à cette voiture qu'à elle.


Arrivée dans le quartier de la Butte aux Cailles, elle passe devant plusieurs cafés, elle salue plusieurs personnes d'un signe de tête et s'installe à une table sans même choisir. Des gens passent dans la rue, des femmes avec leurs enfants eux-mêmes avec leurs doudous, provoquent chez elle un air attendri, mais aussi des jeunes avec leur Walkmans et des hommes d'affaires avec leurs attachés-cases très pressés, qui la firent soupirer.

Le patron du bar l'interrompit dans ses pensées, et la salua : « Bonjour Béatrice, qu'est-ce que je te sers aujourd'hui ? » Elle lui répondit : « Comme d'habitude .» Puis elle reprit son observation et on lui servit un café. Un jeune homme avec un walkman et un sac de cours passa devant elle, elle remarqua alors la musique qu'il écoutait, elle la reconnut, c’était une musique des Doors, qui la replongea dans ses souvenirs.


C'était le printemps à Paris, elle entendait cette chanson des Doors, elle avait huit ans et elle était accompagnée d'un jeune qui l'appelait « petite soeur ». Ils manifestaient dans les rues de Paris, entourés de milliers d'étudiants, des jeunes femmes étaient assises sur les épaules d'autres étudiants, le poing levé, d'autres portaient des banderoles où étaient inscrits des slogans comme « Les libertés ne se donnent pas, elles se prennent » ou encore « L'action ne doit pas être une réaction mais une création », ils brandissaient également des drapeaux et ils criaient tous des slogans, dont un qui l'avait fortement marqué « Le bonheur est une idée neuve ».

Un serveur l'interrompt alors dans ses souvenirs en lui apportant l'addition. Une fois revenue à elle, elle reste là immobile, le regard fixe vers la rue. Soudain elle se lève, se dirige vers le comptoir, règle sa note et repart dans la rue.

Elle traverse plusieurs rues et reprend le chemin de la banque. Une fois arrivée devant celle-ci, elle s'arrête, prend une grande inspiration et pénètre dans l'enceinte de l'établissement, l'horloge accrochée à l'entrée indique dix-huit heures quarante-cinq, la banque n'accueille alors plus de clients mais elle sait que son parton est toujours là. Elle arrive devant un bureau où est marqué sur la porte « Directeur », elle frappe et entre. Son dirigeant la reçoit et elle lui annonce qu'elle a décidé de démissionner. Le patron en reste bouche bée et lui dit qu'il ne peut accepter sa démission sans un document officiel, elle lui répond alors qu'il l'aura le lendemain matin même, à la première heure sur son bureau, et elle le quitte.


Une fois revenue dans la rue, elle s'apaise, son corps se détend mais son visage n'exprime aucune réaction, elle observe autour d'elle et se mord nerveusement les lèvres. Sans cesse, elle jette des regards autour d'elle, elle fait quelques pas vers sa droite puis se ravise et prend la direction à sa gauche et se met à marcher dans les rues de Paris.

Elle erre dans les rues, dans le quartier chinois où des personnes se sont réunies pour manger ou pour partager un moment entre amis. Elle passe vers la place d'Italie où les commerces sont encore ouverts et où il y a encore un grand nombre de passants. Elle marche jusqu'à la tombée de la nuit, elle se retrouve alors dans une rue faite d'anciens entrepôts, ce qui l'intrigue alors est l'affluence de passants dans une rue habituellement infréquentée. Un bâtiment attire alors son attention, il est éclairé par de grands néons bleus et de grandes lettres roses sur la façade qui indiquent un lieu d'exposition où de nombreux visiteurs entrent. Comme il fait nuit et qu'elle a froid, elle décide d’y entrer, le lieu est aménagé de box blancs qui comportent chacun une installation artistique, l'endroit est fortement occupé. Tous admirent des œuvres plus étranges les unes que les autres. Un artiste a créé une chambre dont les murs sont noirs et seuls des néons encadrent le plafond et éclairent la pièce. Béatrice observe cette œuvre en écarquillant les yeux, de désapprobation, ne l'intéressant pas, elle observe les réactions des visiteurs l’entourant, certains sourient devant cette œuvre, d'autres se questionnent ou encore regardent tout simplement. D'autres box sont aménagés de tableaux unis, de formes colorées, de figures géométriques, de lignes, elle observe sans porter une réelle attention à ce qui l'entoure, comme indifférente. Elle s'arrête devant une œuvre qui est faite de tuyaux tordus, créant une forme dans laquelle on peut voir une chaise se dessiner.

Elle reste immobile devant cet objet, elle scrute ses moindres recoins. Elle est debout devant cette œuvre, lorsqu'elle ressent une présence, près d'elle, elle se retourne, c'est un homme qui comme elle, observe l'œuvre. Rassurée, elle reprend son observation en vérifiant sans cesse l'homme à ses côtés par de nombreux regards du coin de l'oeil. Il a les cheveux grisonnants, un T-shirt blanc, un jean troué et paraît plutôt négligé. Il observe l'œuvre différemment des autres, sous tous les points de vue, sur les côtés, à l'envers et pour cela il effectue de drôles de torsions. Béatrice le surveille toujours du coin de l'œil et s’éloigne de plus en plus de lui aussi discrètement qu'elle le peut jusqu'à ce que l'homme l'interrompe en lui demandant s'il la gêne. Au son de ces paroles, elle devient toute rouge et baisse la tête, n'arrivant plus à regarder l'homme qui vient de la plonger dans cette étrange sensation.

L'homme à la vue de sa réaction se présente, il s'appelle Richard et est artiste, il justifie même son comportement en lui expliquant qu'il réagit toujours de cette façon devant une œuvre qui l'intrigue. A ces paroles, Béatrice réussit enfin à le regarder et ces joues en deviennent plus pâles. Elle se présente à son tour, lui expliquant que c'est la première fois qu'elle se retrouve dans ce genre d'endroit et qu'elle est plutôt novice et réticente à ce type d'art. L'homme s'approche d'elle, lui désigne l'œuvre du doigt, en lui demandant de trouver à quoi cela peut lui faire penser et ce que cela provoque chez elle. Béatrice le regarde les yeux écarquillés comme s'il venait de lui parler dans une langue inconnue, l'homme lui désigne toujours l'œuvre du regard. Elle se décide enfin à la scruter et elle aperçoit de cette œuvre, un boulier, un jeu qu'elle possédait étant enfant qui représentait toute son enfance, elle l'imagine alors entre ses mains en ce moment même et elle sourit. Elle regarde l'homme et lui sourit. Il lui demande ce que cela évoque pour elle, elle lui répond que cette œuvre a réussi à lui faire revivre son enfance, en réponse il lui sourit à son tour. Richard lui explique que c'est toujours de cette façon qu’il faut réagir devant ce genre d’œuvres. L’homme lui propose de boire un café avec elle dans ce lieu, elle lui répond par un sourire.


Ils sont assis à une table, à l'entrée de la salle d'exposition et ils boivent un café. Ils en sont venus à parler de son métier à lui, quand il lui demanda ce qu'elle faisait dans la vie, elle lui répondit qu'elle ne savait plus vraiment et il y eut un silence entre eux. Puis d'elle-même, elle lui expliqua la situation dans laquelle elle se trouvait et la démission qu'elle devait rendre le lendemain matin. Richard lui suggère alors d'écrire cette lettre de démission ensemble, Béatrice reste de marbre et elle pose sa tête sur ses bras tout en regardant son interlocuteur. L'homme pose sa main sur la sienne et s'excuse de ce mauvais pas, il paraît extrêmement gêné et n'ose plus la regarder dans les yeux. Béatrice lui explique qu'elle ne sait plus où elle en est, ni ce qu'elle veut et ce qu'elle fera si elle n'a plus d’emploi.


Le lieu d'exposition est vide de ses occupants et les employés commencent à éteindre les œuvres les unes après les autres. Ils se retrouvent bientôt seuls quand un employé les prie de quitter les lieux car il doit fermer. Béatrice jette un dernier coup d'oeil à l'œuvre qui les a fait se rencontrer et ils quittent les lieux ensemble. Une fois à l'extérieur, il fait nuit noire, la rue n'est plus éclairée, on peut même voir les étoiles briller, ils sont seuls. Puis, naturellement, sans en prendre conscience, ils se mettent à marcher dans les rues, elle lui parle de sa vie et de ce qu'elle n'a pas pu réaliser et il écoute attentif et attendri par son histoire. Ils traversent la place d'Italie où tous les commerces sont fermés et où il n'y a plus personne.

Béatrice paraît apaisée, elle sourit comme elle ne l'a jamais fait dans la journée, ses yeux brillent et son corps est détendu. Ils passent le quartier qui est devenu désert, il n'y a plus de panneaux lumineux éclairés, les rideaux de fers des magasins sont baissés. Ils parlent toujours de leurs vies respectives, le regard de cet homme sur elle la trouble mais elle ne se sent pas mal à l'aise. Béatrice lui propose de s'arrêter dans un bar et d'écrire cette lettre qu'elle a tant de mal à accepter. Ils s'arrêtent dans le premier lieu encore ouvert, c'est un bar où il n'y a presque plus de clients, à part quelques hommes encore accrochés au bar. Ils s'installent, commandent quelque chose à boire et se mettent à écrire cette fameuse lettre.


Il y a une dizaine de tasses à cafés posées sur leur table et plusieurs boulettes de papier chiffonnées, ils ont les yeux rouges et n'arrêtent pas de bailler l'un comme l'autre. Béatrice pose son crayon, ils ont fini mais aucune expression n'arrive sur son visage à elle. L'homme demande l'addition et la paie, elle prend sa lettre et ils quittent le bar.

Il fait moins noir que lorsqu'ils sont rentrés, le jour va bientôt se lever. Richard lui demande ce qui ne va pas, elle ne sourit plus et tient cette lettre sans la quitter des yeux, ils se remettent à marcher, il n'optient aucune réponse de sa part. Il la prend alors dans ses bras et ils continuent à marcher ensemble, le ciel s'éclaircit de plus en plus, la Seine reprend ses couleurs pour abandonner le noir qu’elle revêt toutes les nuits, les magasins ouvrent, des voitures circulent. Richard doit alors quitter Béatrice car le jour se lève et qu'il doit travailler, il la laisse seule avec ses choix mais promet qu'ils se reverront.

Béatrice le regarde s'éloigner et elle se dirige vers le bord de la Seine avec toujours en main sa lettre de démission. Elle s'assoit sur le bord du quai, les pieds balançant dans le vide, elle fixe sa lettre et des larmes coulent le long de ses joues. Puis elle regarde le ciel se lever, elle devrait porter cette lettre qu’elle a entre ses mains, mais elle reste là immobile, l'œil hagard. Le jour apparaît enfin et une nouvelle journée commence pour elle.


MG
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La boucle

L’appartement de Béatrice Merkel est parfaitement rangé. On distingue son goût pour le moderne, qui est légèrement mélangé au baroque. A regarder de plus près, on remarque de nombreux post-it collés sur le mur, ou bien sur les objets dont se sert quotidiennement Béatrice.
Sur le grille-pain se trouve un post-it indiquant qu’elle doit racheter du café ; sur le bar un autre post-it lui rappelle d’envoyer la lettre pour ses parents en Allemagne ou encore celui collé sur son ordinateur portable, qui siège sur son canapé, et qui lui ordonne d’aller vérifier si elle a des réponses sur son article qui a pour titre « Arrêtez vos clichés sur les gens de droite ! » qu’elle a posté précédemment, sur un forum de discussion assez connu.

Il y a encore plus précis comme post-it, ce que Béatrice appelle « la liste du matin » où l’on retrouve une liste de choses à faire tous les matins, de la même façon, et surtout à la même heure : 6h45 mettre tartines dans grille-pain ; 6h47 : servir café ; 6h50 : reprendre café ; 6h55 : débarrasser table ; 7h00 : douche ; 7h09 : sortir de douche ; 7h14 : se maquiller ; 7h18 : allumer portable ; 7h19 : vérifier que tout est dans sac ; 7h20 : descendre poubelle en sortant.

L’horloge dans la cuisine indique 6h40, lorsque l’on entend le réveil de Béatrice sonner. Moins d’une minute plus tard, Béatrice sort de sa chambre et pour quelqu’un qui vient de se réveiller, elle est plutôt belle. Elle n’a pas l’air fatiguée, et semble de bonne humeur, car elle s’étire en souriant calmement.

Elle ouvre ses volets, et regarde par la fenêtre. Il pleut. Elle se dirige vers la cuisine, calmement, et tout en vérifiant ses nombreux post-it, elle se prépare à manger, et met deux tartines dans le grille pain. Après avoir pris, puis repris du café, elle débarrasse la table. Elle se rend dans sa salle de bain, qu’elle quitte dix-sept minutes plus tard, après s’être vêtue de son tailleur noir habituel pour aller travailler. Le sourire aux lèvres, elle consulte « sa liste du matin » et son sourire s’élargit lorsqu’elle compare avec sa montre et qu’elle s’aperçoit qu’elle a une minute d’avance sur son timing.

Elle continue donc, soigneusement, à suivre les tâches à accomplir, en se dirigeant vers sa table basse blanche afin de vérifier qu’il y a tout d’important à l’intérieur de son sac noir, assorti à son tailleur. D’un coup, son visage change d’humeur et s’assombrit. Elle voit qu’il y a un post-it dans son sac, sur lequel est écrit : « URGENT : envoyer l’e-mail à Guy ». Elle laisse sortir une injure de sa bouche, maquillée d’un rouge pâle, puis se jette sur son ordinateur portable, juste à côté d’elle pour écrire le mail. A son grand mécontentement, l’ordinateur a du mal à fonctionner correctement, et de nombreux messages s’inscrivent sans cesse, signalant une erreur technique. Béatrice commence à s’énerver, et ses doigts commencent à trembler, au point qu’elle se ralentit elle-même, en faisant des fautes de frappe.

Après quelques minutes, et lorsqu’elle a fini d’écrire cet e-mail, Béatrice consulte sa montre, et pousse un cri d’horreur en s’apercevant qu’il est déjà sept heures vingt-sept, et que par conséquent, elle a sept minutes de retard sur son timing habituel. Béatrice se dépêche d’éteindre son ordinateur, et se précipite sur la porte d’entrée, sans descendre la poubelle qui la retarderait encore plus. Elle descend les escaliers de son immeuble en courant, et manque à plusieurs reprises de tomber. Quand elle sort de son immeuble, il pleut, et comme elle n’a pas de parapluie sur elle, décide d’accélérer le pas. Enfin, après quelques minutes de marche rapide, et trempée de la tête aux pieds, elle arrive à la station des Gobelins.

Quand elle arrive sur le quai, avec le même pas vif qu’elle avait pendant qu’elle marchait dans la rue, elle voit le métro qu’elle prend d’habitude à cette heure-ci, fermer ses portes et partir devant elle, vers la station de métro suivante. Elle regarde sa montre, et râle. Le prochain métro arrive dans cinq minutes. Béatrice décide de s’asseoir sur un siège se trouvant près d’elle, et sa jambe droite se met à bouger de façon nerveuse. Elle essaie de se détendre, inspire une grande bouffée d’air et regarde les gens autour d’elle.

Un groupe d’adolescents arrive, certains rigolent fort, tandis que d’autres, silencieux, écoutent de la musique dans leur casque. La musique est tellement forte, qu’on entend que c’est une chanson de rap français et qu’elle arrive à parvenir jusqu’à l’oreille de Béatrice qui laisse apparaître sur son visage un signe de dégoût pour ce style musical. Sur sa droite, il y a deux femmes, plus jeunes que Béatrice, qui sont habillées en tailleur, comme elle. La seule différence flagrante que l’on peut faire, entre ces deux femmes et Béatrice, est que contrairement à elles, Béatrice est anxieuse et tapote toujours machinalement son pied droit contre le sol. Béatrice, qui s’impatiente, regarde sa montre et celle-ci lui indique qu’il lui reste encore quatre minutes avant qu’elle ne soit assise dans le métro. Elle continue, pour tuer le temps, d’observer les gens, et comme elle a déjà regardé ceux qui se trouvaient de chaque côté d’elle, elle contemple ceux sur le quai d’en face.

Son regard se pose sur la personne qui se trouve juste en face d’elle. C’est un homme. Il est grand, brun, et comme Béatrice, il a tout l’air de s’impatienter. Il se lève, fais quelques pas rapides le long du quai, en passant les mains dans ses cheveux. Il retourne s’asseoir, et parle tout seul, silencieusement. Béatrice lui lance un petit sourire de compassion, alors qu’il ne la regarde même pas.

A ce moment-là, Béatrice entend un bruit de métro qui devient de plus en plus fort. C’est le métro d’en face qui arrive, et l’affichage qui indique le temps restant pour le prochain métro indique qu’il reste seulement une minute à Béatrice pour s’impatienter. Une petite minute. Elle regarde les gens en face d’elle, qui se lèvent pour s’apprêter à monter dans le métro. Une fois de plus son regard s’arrête sur l’homme brun, qui à l’air encore plus inquiet que quelques minutes auparavant, ce qui intrigue Béatrice, qui fronce les sourcils. Il respire fort, et très vite, comme s'il venait de courir et qu’il était très essoufflé. Le métro est maintenant visible, et commence à ralentir, tandis que l’homme, toujours nerveux, prend une grande inspiration, ferme les yeux, court vers la bordure de quai. Il ne s’arrête pas, toujours les yeux clos, il court et saute. Les gens autour crient tous, et mettent les mains sur leur visage. Ils sont choqués, ne peuvent plus se calmer. Ils crient. Ils ne s’arrêtent pas. Béatrice, elle, a le visage figé et les yeux vides. Elle ne peut bouger.


Béatrice est dans son lit, a les yeux ouverts, et est en sueur. Elle ne bouge pas et ses yeux sont fixes, et vides. Après un court moment, elle cligne des yeux, et revient à elle en se redressant dans son lit. Son réveil, qui indique 4h17 n’est pas programmé pour sonner le matin. Béatrice, allume sa lampe de chevet, et pleure doucement. Après une dizaine de minutes à se remettre émotionnellement, Béatrice sort de sa chambre, les yeux rouges, cernés et gonflés, et se dirige vers sa salle de bain, en titubant. Devant son miroir, elle manque de pleurer quand elle voit l’état de son visage et le passe sous l’eau du lavabo. Elle s’essuie le visage et prend deux comprimés, posés sur l’étagère au dessus du lavabo. Lentement, elle retourne dans sa chambre et met un CD dans sa chaîne. Elle s’allonge sur son lit, en écoutant la musique qu’elle vient de mettre, qui est allemande. Afin de se calmer, elle essaie de chanter doucement, mais n’y parvient pas et tend la main pour prendre, sur sa table de nuit, une autre sorte de médicament, qu’elle avale machinalement.


Il est sept heures trente-deux, et Béatrice se lève. Elle n’a sans doute pas dormi depuis tout à l’heure, vu ses yeux toujours aussi cernés et son visage pâle. Elle passe devant les volets, sans les ouvrir et ne s’étire pas. Elle marche le dos cambré et lentement. Sans vérifier ses post-it, elle mange mécaniquement, et beaucoup moins que d’habitude. Elle regarde, sur sa table basse la pile de courrier qu’elle a reçus depuis plusieurs semaines et qu’elle n’a toujours pas ouverts, ainsi que les vingtaines de prospectus publicitaires qui prennent la poussière. Un post-it près du téléphone lui rappelle qu’elle doit prendre rendez-vous chez le médecin, et, tout en le regardant, Béatrice soupire.

Dans l’après midi, Béatrice se trouve dans la salle d’attente de son médecin traitant et est dans un état de stress. Elle a le visage aussi pâle que le matin et est habillée de manière décontractée (jogging), on voit donc sur elle, un laisser-aller. A côté d’elle est assise une jeune femme, qui lit une revue datant de trois ans plus tôt, et tandis qu’elle tourne les pages sereinement, elle sourit. Béatrice ne peut s’empêcher de la regarder discrètement, du coin de l’œil. La porte d’entrée s’ouvre et Béatrice voit apparaître un homme, qu’elle reconnaît tout de suite, et qui entre dans la salle d’attente. Elle passe la tête dans ses mains et manque une fois de plus de verser quelques larmes. Elle agite son pied nerveusement et suscite l’étonnement de la jeune femme à côté d’elle. Peu de temps après, la porte du cabinet s’ouvre, et dès que le docteur demande madame Merkel, Béatrice se précipite presque, dans le cabinet de son docteur. Elle s’assoit, mal à l’aise, et surtout fatiguée et annonce au médecin qu’elle ne va pas mieux malgré les médicaments qu’il lui a prescrits. Elle ajoute qu’elle souffre mentalement, et que son moral empiète sur son état physique, et que cerise sur le gâteau, elle vient de se retrouver face à face avec l’homme en attendant sa consultation. Son médecin l’écoute jusqu’au bout, sans l’interrompre et sans la prendre pour une folle. Quand elle ne parle plus, il annonce qu’il lui prescrit d’autres médicaments, plus forts, qui lui serviront d’antidépresseurs en lui assurant que ses visions de l’homme disparaîtront petit à petit et il lui certifie qu’elle ira mieux de jours en jours. A son visage, on peut voir qu’elle a du mal à croire à ses paroles, mais ne trouve pas la force de lui répondre, et hoche la tête. Son médecin ajoute : « Evidemment, je vous prescris un arrêt de travail supplémentaire de quinze jours… » et Béatrice lui répond qu’en effet, elle n’est pas prête du tout à retourner passer les journées entières à la banque.

Quand son médecin la raccompagne à la porte, elle ajoute : « Vous savez, je pense que tout est ma faute… Je n’aurais jamais rien vécu de tout ça, si ce jour-là, j’étais arrivée à l’heure et avais pris mon métro, comme tous les jours auparavant… Je serais arrivée à l’heure à la banque… J’aurais fait mon travail, puis… Je serais rentrée chez moi, le sourire aux lèvres, je réussirais à dormir la nuit et vivre normalement la journée… »


C’est le matin et Béatrice se lève, à six heures quarante. On la voit qui sort de sa chambre avec un teint parfait. Alors qu’elle vérifie les nombreux post-it, positionnés de telle sorte qu’elle les voit tous, elle met des tartines à griller. Pour quelqu’un qui vient de se réveiller, Béatrice Merkel est plutôt belle. Quand elle s’est resservi une tasse du café, elle débarrasse en comparant avec sa montre son timing habituel. A sept heures vingt, fière d’elle d’être dans les temps, elle quitte son appartement en descendant la poubelle. Le jour se lève dehors, le ciel a une jolie couleur et est agréable à regarder, et le soleil commence à faire son apparition. Les gens que croise Béatrice dans la rue affichent un large sourire, et Béatrice aussi. Béatrice arrive dans la station Gobelins et va directement s’asseoir sur un siège, comme habituellement. L’affichage indique que son métro arrivera dans deux minutes, et Béatrice est satisfaite. Elle est calme, détendue et regarde tout autour d’elle. Il y a de nombreux adolescents, qui prennent le métro pour aller en cours, ou encore des adultes tels Béatrice, qui se rendent au travail et qui sont calmes et joyeux, comme Béatrice. Le regard de Béatrice s’attarde sur un homme du quai d’en face. En effet, c’est un bel homme, plutôt grand, et brun et Béatrice le regarde avec insistance, elle semble le reconnaître. Tout d’un coup, elle entend son métro qui arrive. Le bruit devient de plus en plus fort et elle est de plus en plus sereine. Tandis que son métro se rapproche, Béatrice se lève, confiante et quand elle voit apparaître la machine, elle ferme les yeux et court. Un bruit sourd se dégage de la rencontre corps/machine et tandis que tous les gens autour, crient affolés, une personne ne bouge pas. Une seule : l’homme sur son siège.


MB
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Le reflet d'un tournant

Un noir absolu mêlé d’un agréable silence occupe cette chambre. Le soleil n’est pas encore levé et Béatrice Merkel laisse entendre un léger souffle d’air. Le réveil sonne, il est six heures vingt-cinq. Béatrice ouvre les yeux très rapidement, se jette sur son réveil pour l’éteindre et allume la lumière, une lumière forte qui l’éblouit.

Elle met ses chaussons rouges en velours disposés au pied de son immense lit à baldaquin recouvert d’une somptueuse couverture rouge cerise. Elle ouvre les stores et entreprend le rangement de sa chambre en jetant régulièrement un œil sur son réveil. Elle fait son lit, se battant contre les plis les plus tenaces, souffle rapidement sur les quelques meubles qui habitent la pièce pour enlever la poussière, aucun détail n’est laissé au hasard, qui pourrait nuire à l’harmonie de la pièce et à la sérénité de Béatrice.

Elle marche ensuite dans un long couloir à plafond haut, imitant les maisons bourgeoises, et décoré d’un lustre ancien. Des portes occupent les hautes parois du couloir, elle entre dans la salle de bain où est installée une grande baignoire ronde et profonde. Elle s’approche du miroir et commence sa toilette. Elle a une épaisse chevelure noire, ondulée, des yeux d’un bleu intense, presque transparents, des sourcils fins et réguliers, une bouche rouge et pulpeuse. Elle possède des mensurations idéales, elle est assez grande, fine, et bénéficie d’une séduisante poitrine ni trop grosse, ni trop petite. Néanmoins, des rides bien marquées occupent son visage fin et long et lui donnent une certaine frigidité.

Après avoir terminé son brushing, son maquillage qui a accentué la couleur de ses lèvres rouges, et son choix de tenue dont on remarque le rouge de son chemisier, elle regarde sa montre, il est sept heure dix, elle semble sûre d’elle.

Tout en prenant son petit déjeuner, Béatrice écoute la radio, une station qui lui est bien connue car elle allume au moment où son émission commence : « Bonjour à tous ceux qui nous écoutent, on parlera aujourd’hui actualités en passant bien sûr par la politique et l’économie du jour. » Peu après, l’émission est terminée et l’on entame alors un nouveau sujet : « Bienvenue à cette émission consacrée aux femmes, nous nous intéresserons aujourd’hui à la question du jour : Que sont les femmes sans les hommes ? A vous chères auditrices de nous appeler et de tout nous raconter. » Béatrice lève un sourcil, s’esclaffe et articule : « Les hommes ? Ces bouffeurs de liberté et ces parasites de la vie quotidienne ?! » Et elle va éteindre la radio.

Une fois son petit déjeuner achevé, elle prend une éponge, nettoie la table trois fois pour s’assurer de sa propreté, fait la vaisselle et range sa tasse alignée au millimètre près avec les autres tasses. Elle regarde une nouvelle fois l’heure, des horloges sont accrochées dans chacune de ses pièces, il est sept heures quarante-cinq. Béatrice prend son sac à main et sort de chez elle.

Elle descend les escaliers de son immeuble aux airs baroques, des escaliers d’un bois foncé et brillant, comme neuf, et ouvre sa boîte aux lettres. Elle découvre une lettre où elle lit sur l’enveloppe : « Béatrice Merkel Rue Edouard Manet 75013 Paris » d’une écriture appliquée. Elle l’ouvre et perçoit une lettre écrite sur un papier ancien, épais et bleu avec une écriture en italique, lisse et ronde.

Elle lit : « Pour la première fois, j’ose enfin te raconter mes pensées. Ma nuit a été sereine, emplie d’images magiques, de mots sucrés et de senteurs passionnées. Tu as fais refleurir mon cœur de sentiments oubliés, nouveaux. Je réapprends à chérir un visage, un corps, une femme ! J’essaie de t’écrire ce que j’aurais voulu te dire, ce que mes yeux auraient tant aimé te crier, mais je n’ai pas pu, peut-être par pudeur… »

La lettre n’est pas signée, Béatrice laisse paraître un léger sourire moqueur qui exprime son absence d’intérêt et qui se confirme en se débarrassant de la lettre, elle la jette à la poubelle, puis quitte son immeuble d’un pas décidé.

Seulement, sans s’en rendre compte, Béatrice a jeté la lettre à côté de la poubelle. Un voisin habitant l’immeuble descend à son tour les escaliers qui le mènent dans le hall où sont installées les boîtes aux lettres de tous les habitants. Il voit une lettre sur le sol, se dirige vers elle l’air dubitatif, se penche et la saisit. Il lit le nom de Béatrice Merkel sur une enveloppe blanche et neutre et s’exclame : « Ah ces foutus facteurs, ils n’ont pas les yeux en face des trous ce matin ! ». Son regard passe par toutes les boîtes aux lettres et se pose sur celle de Béatrice, il remet ainsi la lettre à sa place.


Le lendemain matin, un matin pareil au jour précédent, une organisation minutée et minutieuse reprit ses habitudes quotidiennes. Une routine que Béatrice semble apprécier s’impose de jour en jour face à elle.

Elle descend les escaliers de son immeuble comme à son habitude, à sept heures quarante-cinq, puis ouvre sa boîte aux lettres. Elle y trouve la même lettre que le jour précédent. Son attitude est confuse, ses yeux sont en mouvement constant et ses sourcils se froncent légèrement. Elle découvre une seconde lettre, la même écriture penchée, noire, sur l’enveloppe blanche, le même papier à lettre ancien, épais et bleu… le même anonyme.

Elle lit : « Je voudrais survoler ta peau d’une douce caresse, attraper la moindre parcelle de tes joies, mordre tes lèvres au petit jour… » Mais Béatrice ne prend même pas le temps de poursuivre sa lecture, déchire les deux lettres avec une curieuse détermination et les jette à nouveau à la poubelle. Elle ne semble toujours pas sensible à ces déclarations.


Mais un mois plus tard, un matin de très bonne heure, Béatrice prend son petit déjeuner en fixant du regard une pile de lettres posées sur un petit meuble en bois installé à l’entrée. Elles sont toutes reliées entre elles par une fine ficelle rouge comme pour les cadeaux. Elle ne les quittera pas du regard jusqu’à temps qu’elle ait fini de déjeuner.

Il est sept heures quarante-deux, Béatrice prend son sac à main, sort de chez elle, descend les escaliers et arrive devant sa boîte aux lettres. Elle l’ouvre d’une main ferme. Elle est vide. Elle reste devant, les yeux grand ouverts en train d’examiner les moindres recoins, son regard rebondit contre les parois de la boîte aux lettres. Elle se mord les lèvres. Son manque d’intérêt semble soudain s’atténuer. Elle semble ne plus rien contrôler, même ses sentiments et son évolution à laquelle elle n’avait pas prêté attention.


Le matin qui suit, son organisation, sa ponctualité ne sont plus à ses habitudes. Elle ne semble plus aussi attentive aux minutieuses attentions qu’elle portait aux soins de son appartement et d’elle-même. Son brushing laisse paraître quelques cheveux rebelles, ses lèvres et son teint sont d’une couleur terne et pâle. Sa tenue est d’une sobriété inhabituelle, noire et beige. Elle sort de la salle de bain à sept heures trente-deux. Elle n’a pas de montre au poignet. Elle prend son petit déjeuner sans allumer la radio, fait la vaisselle mais ne la range pas à sa place habituelle.

Il est sept heures cinquante-six, Béatrice sort de chez elle. Elle marche dans la rue Edouard Manet, rejoint le boulevard de l’Hôpital, traverse ensuite la rue Coypel pour enfin arriver à l’avenue des Gobelins. Elle presse le pas mais s’arrête brutalement devant un miroir. Elle s’approche d’un pas curieux et confus. Le regard de tous les gens qui l’entourent se pose sur elle. Des regards agressifs, ardents, menaçants, violents. Elle est seule avec son reflet, entourée d’une foule de plus en plus vague et floue, muette et dénonciatrice à la fois. Ses yeux portent un regard ambigu, nouveau, pris d’une expression douteuse et fragile. Elle sert sa tête entre ses mains.


Après une semaine sans lettre de cet anonyme, Béatrice reçoit une nouvelle lettre. Un sourire anime son visage, ses sourcils se lèvent, sa peau se défroisse, son souffle change légèrement de rythme. Elle prend la lettre, la touche, la presse contre sa poitrine, la sent et l’ouvre.

Elle lit : « J’avais décidé de ne plus t’imposer ce que je ressens, mais aujourd’hui, je suis arrivée à un moment de mon parcours où mes incertitudes, ma passion, mon besoin, mon appel à toi me détruisent, me tiennent, me possèdent. Tu réussiras à lire dans ces mots ce que je suis vraiment ».

Béatrice pose un regard marqué et insistant sur un mot nouveau, elle ne voit plus que celui-là, tous les autres mots s’assombrissent, se déforment, puis disparaissent, elle ne le lâche plus du regard, il est là, seul, démesuré, imposant, sous ses yeux : « arrivée », ce mot si clair, si évident prend un sens disproportionné, immodéré, un sens que Béatrice semble n’avoir jamais connu.


Dans la rue, elle est comme obsédée, envoûtée par l’image des femmes, de ces femmes qui ont une démarche élégante et particulière, des mains qui se promènent sur leur visage pour enlever les cheveux longs et rebelles, de leurs yeux si différents et mystérieux d’une femme à l’autre. Béatrice semble envahie par cette image, scrutant dans les moindres détails leurs formes, leurs longues jambes fines, des corps si fins et sculptés que le temps ralentit lorsqu’ils s’offrent à nos yeux.

Béatrice arrive à l’avenue des Gobelins, où elle rencontre à nouveau le miroir, elle s’approche lentement, d’un pas déterminé, décidé. Elle se regarde comme si elle découvrait une nouvelle personne, une nouvelle femme. Elle touche son reflet et dessine les lignes de son corps avec son doigt sur le reflet. Elle ne voit plus que les femmes, les hommes ne sont plus que des silhouettes floues, difformes, presque invisibles…


LV
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Le manuscrit

La sonnerie d’un réveil retentit dans la pièce. Une femme le regarde, il affiche 4 : 30. Sa chemise de nuit est un T-shirt qui lui retombe sur les hanches. Elle est assez petite. Son visage rond est entouré de ses cheveux bruns dépeignés qu’un élastique attache grossièrement.

D’un pas chancelant, elle se dirige vers la pièce qui se trouve à côté de sa chambre. Il s’y trouve un ordinateur portable, ouvert, sur un bureau en bois, un petit carnet est posé près du clavier. Béatrice s’y installe. Elle regarde fixement l’écran qui s’allume. Elle ouvre un fichier et un texte apparaît. Lui aussi, elle le regarde avec indifférence. Puis elle se redresse de son siège et commence à taper quelques mots qu’elle efface peu de temps après.

Se renfonçant dans son fauteuil, elle lève les yeux au ciel et prend le carnet où on lit : « Un couple souriant demande une aide pour l’achat de leur nouvelle maison. » ou « La femme lance un regard de défi en posant les billets de 200 sur la table. » Considérant le clavier de l’ordinateur, elle soupire et fait défiler le texte. Trente pages. Elle siffle entre ses dents : « Dix ans pour ça… » Un air de mécontentement recouvre son visage, elle fronce les sourcils et fait la moue. D’un air décidé, elle se redresse et efface toute son œuvre. Elle sourit fière, mais finalement, d’un simple clic, elle annule son geste.

Béatrice quitte la pièce, d’un pas lent, va vers sa cuisine et ouvre un placard. Elle en sort un bol, des céréales et du lait. Elle mange le tout le regard dans le vide et mâche avec lenteur. Au bout de trois bouchées, elle sort de table et jette le reste. Elle va dans sa salle de bain. Elle prend ses vêtements accrochés à un portemanteau et se vêt d’un pantalon et d’une veste noire. Elle se coiffe, se lave les dents, elle s’asperge le visage d’eau froide, se regarde dans le miroir en écartant grand les yeux. Puis elle place un maquillage discret sur ses lèvres et ses yeux.

Elle regarde la pendule : sept heures. Elle prend la clé de son appartement sur la table, met en marche son anti-vol puis sortant, elle ferme les verrous derrière elle. Trois sécurités qu’elle ajuste méticuleusement.


Béatrice passe par la grande porte où est inscrit sur le front « BANQUE », saluant les personnes qu’elle croise d’un signe de la main. D’un pas décidé, elle entre dans un petit bureau où un homme l’attend.

« Bonjour monsieur Banhart. » dit-elle d’un ton neutre. L’homme sursaute et bredouille « Bonjour madame Merkel… »

- Qu’est ce qui vous amène ici aujourd’hui monsieur Banhart ? Avez-vous trouvé une solution à vos problèmes ? continue t-elle, d’un air indifférent, posant ses documents sur son bureau.

- Eh bien… euh… À vrai dire… Je sais pas…, réussit à bégayer l’homme rougissant de plus en plus.

Béatrice poursuit d’un ton faussement interrogateur et continuant son installation :

- Vous ne savez pas, monsieur Banhart ?

L’homme fond en larmes.

- Encore un prêt madame ! Ce n’est rien ! Je vous en supplie, je ne vais pas pouvoir nourrir ma famille !

- Vous n’avez pas de famille, monsieur Banhart… l’interrompt-elle.

- Je vous jure que j’arriverai à trouver un travail et je ne jouerai plus ! Il faut juste que vous m’aidiez ! Un dernier coup de pouce madame !

- Excusez-moi monsieur Banhart, mais nous en avons déjà parlé et non, je ne peux pas. Vous avez abusé de notre confiance en vous adressant à une autre banque et en essayant de nous tromper.


Béatrice Merkel est assise à une table avec son plateau déjeuner devant elle. Elle sort son carnet et note :

« L’homme endetté, après, se met à genoux et supplie pour avoir encore un peu d’argent. »

Béatrice Merkel monte l’escalier de son appartement et, arrivant devant sa porte, elle découvre qu’elle est fracturée. Horrifiée, elle en laisse tomber sa valise de travail et pousse lentement la porte qui grince légèrement. Elle avance dans la pièce et se dirige vers le téléphone pour appeler la police. Errant dans la pièce, elle prend un papier et note ce qui lui manque : « Le lecteur DVD, la chaîne hi-fi, l’imprimante… » Arrivée dans son bureau où devrait se trouver son ordinateur, elle ne le voit pas. Les voleurs avaient emporté son roman. Elle fixe le vide du bureau et ses yeux s’embuent de larmes. Elle reste immobile, tremblante. Au bout d’une minute, elle éclate en sanglots et balaie le bureau de ses bras, faisant voler tous les papiers qui y restaient. S’étant calmée, elle s’allonge par terre, regardant le plafond et pousse un long soupir.


« La police est finalement bien plus incompétente que l’on pourrait croire ! Voilà plus d’une semaine que le vol a eu lieu et ils n’ont toujours rien trouvé ! Je le les rappelle tous les jours pourtant, mais : rien ! Ils n’ont rien trouvé ! », s’exclame Béatrice Merkel à une collègue de travail avec qui elle discute dans le hall de la Banque. « Calme-toi, ils vont bien finir par le retrouver… », rétorque son amie, mais Béatrice énervée affirme « Je pourrais certainement le retrouver plus vite qu’eux ! »


Arrivée chez elle, elle découvre sur le pas de la porte un colis. Il est enveloppé dans des feuilles de journaux et semble plutôt épais. Béatrice regarde à droite et à gauche, hésite avant de prendre le paquet, puis le saisit et rentre à l’intérieur. Elle le pose sur une table et s’assoit en face. Elle le considère longuement avant de se décider à l’ouvrir. Elle décolle les bouts de scotch qui tenaient le papier puis d’un coup sec découvre le colis de son emballage. En face d’elle, un paquet de feuilles dactylographiées toutes commentées par des annotations manuscrites rouges. Elle le feuillette et découvre les lignes qu’elle a écrites. Elle secoue la tête et répète dans un souffle « Non, non, ce n’est pas possible… » Elle finit par reposer le manuscrit, les mains tremblantes. Le regard dans le vide, elle se mord la lèvre inférieure et se tord les doigts. Finalement, elle reprend le manuscrit et le parcourt de nouveau. Puis elle se ressaisit et cherche dans les feuilles de journaux. Elle trouve celle qui comporte le timbre et le cachet de la poste : avenue des Gobelins.

Elle se lève violemment et va chercher une carte dans son bureau : un plan du treizième arrondissement de Paris. Elle met le doigt à l’endroit où elle habite puis le fait glisser sur la carte jusqu’à l’avenue des Gobelins. Elle sourit, prend sa carte de bus dans son portefeuille.


Béatrice descend du bus, et marche jusqu’à la poste. Là, elle va voir une femme d’une trentaine d’années souriant derrière son guichet.

- Avez-vous envoyé un colis recouvert de journal apporté par un homme, hier ? interrogea Béatrice, les deux mains appuyées sur le comptoir.

- Bonjour, dit la jeune femme s’efforçant de sourire. Et bien, je ne sais pas, je n’étais pas de service hier, mais allez voir Clarisse là-bas, elle saura sûrement, dit-elle désignant une femme du doigt.

Elle alla voir la femme lui reposant la même question, celle-ci lui répondit :

- Ne soyez pas agressive comme cela, ça n’avance à rien. Oui, il y a bien un homme qui est venu, hier. Un paquet couvert de journaux, vous dîtes ? C’est bien ça, c’était un homme qui a la soixantaine, cheveux et moustaches blancs, plutôt grand… C’est tout ce que j’ai comme renseignements.

- Merci, dit Béatrice s’éloignant d’un pas rapide.


« Informations récoltées durant le week-end : » écrit-elle au début de la page blanche. Puis elle continue : « Il est grand, la soixantaine, les cheveux blancs, porte la moustache. Il est plutôt solitaire, n’a pas de femme ni d’enfant. Il fréquente régulièrement un café dans lequel, il va tous les matins. » Elle souligne cette information plusieurs fois. Puis rajoute des dates sur la carte désignant les endroits où elle a cherché. Elle jette un coup d’œil sur la pendule puis revient à ses occupations. Mais prise d’un doute, elle regarde de nouveau l’heure : sept heures cinquante-quatre. Elle se lève brusquement et sort à toute vitesse, ne prenant pas le temps de régler son antivol, ni de verrouiller sa porte. À l’arrêt de bus, elle regarde les horaires de passage : un bus est passé, il y a cinq minutes et aucun ne passe avant une demi-heure. Elle court donc vers la banque et lorsqu’elle arrive enfin, ses collègues la dévisagent, étonnés de son arrivée si tardive. Béatrice reprend son souffle, et calmement se dirige vers son bureau, ignorant les autres.


« Tu préviendras le patron, je ne serai pas là demain.

- Pourquoi ? T’as jamais raté un jour de boulot ! T’es malade ? répond la voix de son amie à l’autre bout du fil.

- J’ai peut-être retrouvé mon voleur et je veux être sûre de ne pas le manquer.

- Le psychopathe qui t’as volé ton ordinateur ? T’es folle c’est dangereux !

- T’inquiètes pas je serais dans un lieu public. J’ai trouvé l’endroit où il va régulièrement, c’est un café sur l’avenue des Gobelins, il y va tous les jours vers onze heures.

- Tu sais ça comment toi ?

- J’ai mené mon enquête comme la police est incompétente. Tu sais, il faut que je le retrouve, c’est important pour moi.

- Me dis pas que c’est la cause de tes absences de cette semaine.

- Bah si, mais j’ai assez d’informations pour lui faire peur et lui montrer que je peux le dénoncer quand je veux. J’ai passé ma semaine à le chercher, s’il est pas là demain je craque.

- Je trouve que tu t’en fais trop pour cette histoire, tu devrais laisser la police intervenir…

- Non, je veux savoir pourquoi il a fait ça… Bon je te laisse, à plus.

- Ouais salut …

Béatrice raccroche le téléphone et va s'asseoir dans un fauteuil son manuscrit sur les genoux. Elle n’y a rien modifié. Elle relit encore une fois les annotations et finit par s’endormir.


Le lendemain, elle prend peu de temps pour se préparer. Elle passe de l’eau sur son visage, se recoiffe et se remaquille. Elle attrape son manuscrit et sort de son appartement claquant la porte.


Assise sur un banc, elle regarde le café en face d’elle. Les jambes croisées, le manuscrit sur ses genoux, et les mains sur son travail, elle attend. Elle observe les allées et venues des clients dans ce bar. Un moment, elle croit l’apercevoir et elle commence à se lever mais elle se rend compte que l’homme ne va pas dans le café. Une seconde fois, un autre homme de soixante ans rentre dans le café, mais ressort une minute plus tard avec une femme. Elle regarde sa montre, il est plus de onze heures. Elle devient de plus en plus nerveuse, triturant le manuscrit entre ses mains mais ne quittant pas des yeux l’entrée du café.

Puis un homme arrive, il est plutôt grand, portant la moustache et ayant des cheveux blancs. Il a les mains dans les poches de son jean, il a une cigarette dans la bouche qu’il jette avant d’entrer dans le café. Béatrice voit à travers la baie vitrée de la façade du café qu’il salue le patron et va s’asseoir à une table près des grandes fenêtres, pour regarder les gens qui passent.


Béatrice se lève d’un bond et se dirige d’un pas déterminé vers son but. Avant de franchir la porte, elle prend une grande inspiration et se lance. Faisant résonner ses talons sur le carrelage, elle se rend à la table du voleur. Elle pose violemment le manuscrit sur la table faisant sursauter l’homme.

« Vous pouvez m’expliquer ça ? s’exclame-t-elle en désignant le manuscrit du doigt. Vous entrez chez moi par effraction, vous volez mes affaires et en plus de ça vous vous autorisez à critiquer ce qui m’est le plus cher ! Mais vous savez combien de temps, j’ai mis pour faire ça ??? Dix ans ! Et vous, vous osez détruire tout ça avec vos petits commentaires et votre stupide crayon rouge ! Vous savez que je peux vous dénoncer à la police ! Vous allez faire de la prison pour violation de domicile pour le reste de votre vie ! Si vous m’expliquez pourquoi est ce que vous avez fait ça et si vous vous excusez, je pourrais vous aider face à la police ! Je pourrais leur dire que vous saviez pas ce que vous faisiez et que vous commencez à être sénile ! Et puis, … que vous êtes un peu fou ! Mais je ne serais pas si tolérante si vous continuiez à rester muet ! Bon, vous vous obstinez et bien je vais vous dire au revoir Monsieur mais vous entendrez parler de moi !!! »

Elle reprend son manuscrit et repart rouge de colère d’un pas rapide. Pendant son monologue, l’homme n’avait pas réagi, il a juste eu l’air un peu étonné, mais il n’a pas essayé de s’expliquer ni de se justifier.


Ce n’est qu’à un kilomètre du café qu’elle ralentit son allure. Finalement, elle s’arrête dans un parc, où elle s’assoit sur un banc pour reprendre son souffle. Bizarrement, elle ne sourit pas. Elle se tord les mains de nouveau, lève les yeux au ciel. Elle prend une grande inspiration et ferme les yeux.


Elle ouvre la porte de son appartement avec lenteur. Elle prend un crayon et s’assoit à son bureau où il y avait jadis son ordinateur. Elle ouvre la première page de son manuscrit, son stylo à la main.


Béatrice se réveille en sursaut, la marque de sa main sur sa joue et le manuscrit ouvert à la page 9. Elle jette un regard fatigué sur le réveil qui se trouve à côté d’elle. Midi. Elle se précipite hors de la pièce, attrape son manteau et file à son travail.


À son arrivée, son patron l’attend. Il l’emmène dans son bureau. Elle s’installe en face de lui et il commence :

- Mademoiselle Merkel, si vous accumulez encore un retard, je vais devoir vous mettre à la porte… C’est entendu ?

- Oui bien sûr.

Béatrice sort du bureau, elle ne paraît pas affectée par la nouvelle et va accueillir ses clients.


Le sourire aux lèvres, Béatrice ferme la dernière page de son manuscrit et pose son crayon. Elle glisse le manuscrit dans un sac et part en direction du café.


« Voilà deux semaines que je vous attends, vous en avez mis du temps… », dit l’homme en la voyant arriver. Béatrice déconcertée par cette assurance, s’arrête sur le pas de la porte. Elle se ressaisit et avance vers l'homme.

- J'ai un travail aussi... , rétorque Béatrice en guise d'excuse. Elle hésite et montrant qu'elle n'est pas intimidée s'installe à sa table, posant le manuscrit à plat, elle tend les bras pour le faire glisser jusqu'à lui. L'homme le prend, le feuillette durant une minute et le repose avec un air insatisfait.

- Vous n'avez pas écrit grand chose..., finit-il par lâcher.

- Je vous l'ai déjà dit, je ne passe pas mon temps à errer dans les bars, j'ai un travail moi.
L'homme sourit face à ce début d'agression et Béatrice fronce légèrement les sourcils.

- Vous savez, avoir une passion comme la vôtre, c'est plus dur à entretenir qu'un travail. Et puis c'est surtout plus important...

Elle l'interrompt :

- Je ne peux pas abandonner mon travail et mes espoirs d'augmentation juste pour un bouquin que je ne suis même pas sûre de finir !

Il lève simplement les sourcils, et avec un air faussement étonné demande :

- Et pourquoi ?

Sans même prendre la temps de répondre, Béatrice se presse vers la sortie, agacée, rougissant face à ce personnage si étrange.

Elle s'éloigne de l'entrée, passe de l'autre côté de la rue et sans se faire voir, elle observe l'intérieur du café. L'homme finit son café, et ouvre la première page du manuscrit. Il sort un stylo de la poche de sa veste mais n'écrit rien. Il passe plusieurs pages de cette manière et au bout de la sixième page il note un commentaire. Béatrice sourit et satisfaite retourne chez elle.


Béatrice se réveille un matin. Elle se lève en peignoir et se prépare du café. Lorsque sa tasse est remplie, elle se dirige vers sa porte qu'elle ouvre. Elle y voit le colis de papier journal et son visage s'illumine. Elle y trouve aussi une lettre portant le cachet de la banque où elle travaille. Elle pose le tout sur la table et va se chercher un morceau de pain. Tout d'abord elle ouvre le colis, le rouge est moins présent qu'avant. Les premières n'ont presque pas d'annotations négatives. Béatrice se retient de sourire et d'un pas rapide, elle va corriger les fautes sur son bureau.

Entendant son ventre produire de forts borborygmes, elle se lève sans refermer son roman et va vers la cuisine. Elle sort une casserole et y met des raviolis, puis attendant que son plat soit prêt, elle erre dans la pièce, ramassant quelques papiers tombés de son meuble. Elle y retrouve la lettre de sa banque, intriguée elle l'ouvre. Ses yeux s'agrandissent au fur et à mesure qu'elle lit la lettre.

- Virée ! Je suis virée ! Pour quelques retards ...

À tâtons, elle trouve une chaise sur laquelle, elle se laisse tomber. La lettre toujours dans les mains, elle se met à être secouée de sanglots, répétant le mot "virée". Elle sort de cet engourdissement que lorsqu'elle sent la casserole de raviolis cramée sur laquelle elle se précipite pour éteindre le feu. Puis, face à la cuisinière, elle redevient immobile. Elle se tourne vers son bureau, prend son roman et le jette contre le mur. Elle s'habille à toute vitesse, enfilant pull et pantalon. Elle court au café.


L'homme est toujours là devant sa tasse de café. Elle entre à toute vitesse dans le bar. Elle se poste devant lui et s'exclame :

- Par votre faute, j'ai perdu un emploi stable et bien payé !!! Je n'aurai pas une deuxième chance pour retrouver un travail aussi convenable que celui-là ! Je vais faire comment maintenant pour vivre ???

- Calmez-vous... Vous ne savez pas la chance que vous avez d'avoir une passion aussi grande que la vôtre et d'avoir autant de capacité pour la développer...

- Il est beau votre monde, mais réveillez-vous ! L'argent ne tombe pas du ciel !!!

- Ne soyez pas si rationnelle...

- Être rationnelle est une question de survie !

- Il ne faut pas s'attacher au rationnel, et voyez la vérité en face, sans l'écriture, vous n'auriez pas survécu non plus. Vous voyez, j'ai enseigné le français pendant une trentaine d'années et puis j'ai tout plaqué en quelques jours.

- Et vous êtes devenu cambrioleur ! Bel aveni ...

- Mmmh oui... Je n'étais pas tout seul et puis avouez, ce que nous vous avons volé ne vous a pas réellement manqué.

- Euh... non pas vraiment, répond Béatrice en fronçant les sourcils et s'appuyant la tête contre la main. Elle regarde cet homme qui semble vieux et tranquille.

- Excusez-moi, je ne me suis pas présenté : Arthur Véberre.

- Béatrice Merkel.

- Oui je sais... C'était écrit sur votre roman.


Béatrice face à son roman, qu'elle a ramassé, corrige au mieux toutes les fautes signalées par son correcteur. Elle mordille son crayon, écrit, rature, réécrit, griffonne...


Sur le pas de sa porte, un nouveau paquet avec un message agrafé disant « Voilà un mois que vous travaillez à ce roman, vous approchez de la fin, il n'y a plus beaucoup d'étapes avant la version finale. » Elle prend le colis, déchire le papier et fait défiler les pages sous ses doigts son manuscrit. Elle recommence plusieurs fois le visage rayonnant. Puis elle va dans son bureau où elle attrape un crayon et finit sa correction.

« Ce rendez-vous sera peut-être le dernier, votre roman touche à sa fin. Je n'en aurai sans doute pas pour longtemps à ajouter les dernières retouches. » Arthur paraît confiant, il sourit. Béatrice repart chez elle.


Assise à son bureau, elle écrit sur une feuille : « Des Vies de Béatrice Merkel, Leurs Vies de Béatrice Merkel, Histoires Vitales de Béatrice Merkel, ... » Elle s'appuie contre le dossier de son fauteuil, s'étire, ferme les yeux et sourit.

« Vous ne l'avez pas revu ?

- Non madame, pas depuis votre dernier rendez-vous, trois semaines qu'il n'a pas remis les pieds ici...

- Merci...

Béatrice sort du café et s'arrête. Elle jette des regards à droite et à gauche, soupire un « Il a sûrement de bonnes raisons. » et repart, les mains dans les poches, les yeux rivés sur le trottoir. En rentrant chez elle, elle passe devant une librairie et en vitrine voit un livre à la couverture blanche et aux contours bleus. Dessus inscrit en lettres grasses et bleues « Histoire de Vies d'Arthur Véberre ». Béatrice s'approche de la vitrine, écarquillant les yeux. Durant une minute, elle fixe ce livre. Elle se précipite soudainement à l'intérieur et elle en ressort avec le bouquin entre les mains. Elle l'ouvre, le referme, le tourne et le retourne, fait glisser les pages entre ses doigts. Des larmes commencent à couler de ses yeux lorsqu'elle répète « Mes mots, ce sont mes mots ». Puis elle se remet à marcher, les bras le long du corps et le roman, dans sa main droite, semble pesé très lourd. Elle erre dans la ville jusqu'au soir. Elle arrive à une station de métro où elle y rentre. Elle s'assoit sur un banc près des rails et regarde les métros passer et repasser. Finalement elle se lève et se dirige vers la rame, le livre dans la main...

AF
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